Croire aux anges gardiens?

Croire aux anges gardiens?

De la Haute Antiquité à nos jours, la notion d’ange gardien fascine. Aujourd’hui moins religieuse qu’ésotérique, cette croyance est réactivée tant en psychothérapie que dans le champ du développement personnel. Explications. (3/5)

Il est des questions, comme des fascinations, qui perdurent au fil des époques. Ainsi de l’interrogation qui court autour de l’existence des anges gardiens. Comprenez par-là un ange attitré personnellement et qui vous protégerait tout au long de votre vie.

«Le concept d’ange gardien remonte à la Haute Antiquité», indique David Hamidovic, historien spécialiste du judaïsme ancien à l’Université de Lausanne et par ailleurs auteur de L'insoutenable divinité des anges (Ed. du Cerf, 2018). Cette notion est le fruit d’une déclinaison en trois temps, explique-t-il. «D’abord, on voit apparaître dans la Bible hébraïque l’idée d’un ange qui protège un peuple, c’est l’ange de Yahve qui veille sur les Hébreux ou les Israélites. Ensuite, alors que des relations commerciales ou diplomatiques se mettent en place, on va retrouver de plus en plus d’écrits faisant mention de figures protectrices présentes lors de ces voyages.» Un des récits les plus significatifs sur ce point est le livre de Tobie, présent dans l’Ancien Testament de la Bible catholique mais exclu du canon protestant.

Ce n’est que dans un troisième temps qu’intervient l’idée d’un ange gardien particulier, poursuit le chercheur, «lorsque dans les derniers siècles de notre ère, on assiste à un mouvement de croyance qui se détache du collectif et installe un rapport plus personnel à la divinité».

Différentes perceptions chrétiennes

Pourtant, si les figures d’anges sont très présentes dans la Bible (cf article….), le texte se révèle plus qu’allusif sur la question précise des anges gardiens. De fait, au sein même du christianisme, les interprétations divergent. «La notion d’ange gardien est reconnue dans le catholicisme, qui leur consacre même un jour de fête en la date du 2 octobre», indique le théologien catholique Pierre de Martin de Viviés, auteur de Ce que dit la Bible sur les anges et démons (Ed. Nouvelle Cité, 2013).

Du côté protestant, on reste plus prudent. «Il est fait état dans plusieurs textes de la présence d’anges protégeant les croyants, mais les Écritures n’offrent pas suffisamment de base pour développer une théologie sur le fait que chaque être humain a un ange qui lui est attribué. L’affirmer serait aller trop loin dans les détails par rapport à une réalité qui nous échappe», formule le théologien réformé Elio Jaillet, doctorant à l’Université de Genève.

Une parole de Jésus, citée dans l’Évangile de Matthieu, interroge cependant: «Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits; car je vous dis que leurs anges dans les cieux voient continuellement la face de mon Père qui est dans les cieux» (Matt:18:10). Que faut-il dès lors en déduire?

Pour David Richir, théologien évangélique et enseignant à la HET-PRO, il est une part de mystère qu’il nous faut accepter. «La Bible nous révèle qu’il y a une sorte d’organisation là-haut, mais ne nous en dit concrètement pas beaucoup plus. Et finalement, que Dieu agisse avec des anges gardiens individuels ou non, cela n’est finalement pas mon problème, c’est une question de back-office.»

Une autre différence de sensibilité apparaît également au sein du christianisme sur la question du lien qui est attendu entre ces créatures célestes et les êtres humains.

En effet, si dans la foi catholique «il est permis de prier son ange gardien» stipule Pierre de Martin de Viviés, dans le protestantisme, à l’instar des saints, il est considéré qu’il est «formellement interdit de s’adresser à ces êtres, de les prier ou encore de leur rendre un culte», précise David Richir.

Récupérations thérapeutiques

En dehors de la religion chrétienne pourtant, la notion d’anges gardiens résonne comme une des promesses les plus en vogue du monde spirituel. «Ces anges gardiens qui avaient été mis un peu en sommeil retrouvent une nouvelle jeunesse, mais dans des formes de dévotion qui tiennent plus de la religiosité populaire que de la religion», observe le théologien catholique.

En effet, on ne compte plus les ouvrages ou sites Internet ésotériques qui proposent de nous mettre «en connexion avec son ange gardien». Comment expliquer un tel engouement? «Dans l’esprit des gens, ces figures intermédiaires sont plus accessibles et permettent une plus grande marge de manœuvre. Avec Dieu, un dialogue paritaire n’est pas possible, car les hiérarchies sont trop nettes», explique Silvia Mancini, anthropologue et historienne des religions à l’Université de Lausanne, spécialisée dans les traditions religieuses transversales et marginalisées.

«Cette notion d’ange gardien, qui vient du christianisme, se greffe alors sur cette idée de double symbolique, sorte d’avatar fictionnel de soi», poursuit-elle, pointant également l’usage professionnel qui peut également en être fait en psychothérapie. «Autrefois, l’idée d’un bien-être psycho-corporel coïncidait avec un impératif moral, les principes chrétiens et les valeurs de la foi. Aujourd’hui, Dieu a disparu et reste surtout le souci d’un moi hypertrophié», expose-t-elle. «Les psychothérapeutes et hypnothérapeutes connaissent très bien l’efficacité de ces pratiques. En devenant un interlocuteur virtuel, cette figure d’ange gardien active des dynamiques d’auto-réparation qui permet au sujet de se stabiliser et se rassurer.»

Cette spécialiste insiste: «La croyance en des êtres bienveillants qui vous entourent et vous protègent ne produit pas seulement un effet mental, mais bien factuel.» Tout comme croire en l’existence d’un Dieu qui les aime, répondent alors les théologiens, études scientifiques à l’appui, qui préfèrent ne pas donner trop d’importance à ces créatures. «Il ne faudrait pas se tromper de sauveur. Aucun ange ne peut se substituer au Christ», rappelle le catholique.