Quand le doute réunit théologiens et astrophysiciens

Quand le doute réunit théologiens et astrophysiciens

La Faculté de théologie de l’Unige lance un programme inédit, baptisé «A Ciel Ouvert», pour stimuler le dialogue interdisciplinaire autour du mystère de la vie et de notre place au sein de l’univers. Interview croisée.

Quelle est l’origine de la vie? D’où venons-nous? Où allons-nous? Pour répondre à ces questions pour le moins existentielles, la Faculté de théologie de l’Université de Genève lance un programme inédit baptisé «A Ciel Ouvert», destiné à stimuler le dialogue entre science et spiritualité. Interview croisée entre Ghislain Waterlot, doyen de la Faculté de théologie, et Francesco Pepe, directeur du Département d’astronomie, à l’occasion du coup d’envoi de cette collaboration inédite, le 20 avril.

La théologie et la science de l’astronomie consistent en deux approches très différentes de ce grand mystère qu’est l’existence. Comment expliquer qu’aujourd’hui un décloisonnement puisse être envisagé?

G. W. Il ne s’agit pas de supprimer les cloisons pour mélanger les choses. C’est plutôt un dialogue qu’il s’agit d’instaurer, où chacun peut trouver de l’intérêt. Du côté des scientifiques, ce sera nourrir un intérêt personnel qu’ils ont pour les questions dites «métaphysiques»; ou tout simplement être intéressés de savoir comment les disciplines théologiques abordent ces problèmes. Pour les théologiens, il s’agit de consolider leur effort pour comprendre la signification de la foi. La science ne permet plus de soutenir certaines thèses religieuses soutenues jadis. Et puis, nous avons tous en commun d’être les seuls animaux de cette planète à vouloir comprendre l’univers dont nous sommes partie prenante, au lieu de nous contenter de vivre.

F. P. Je ne pense pas que la théologie et l’astronomie aient des approches si opposées. Les théologiens, comme les astrophysiciens, ou autres scientifiques, se basent sur la même méthode scientifique, soit l'ensemble des canons devant guider le processus de production des connaissances scientifiques. Ce qui nous distingue est le sujet que nous traitons, qui lui est, en effet, très différent. Une autre grande différence est la relation avec l’humain. En astrophysique, l’humain essaie d’être simple observateur (externe) de l’univers, donc d’avoir un point de vue parfaitement objectif. En théologie, cela n’est pas possible car l’humain fait partie de «l’expérience». À noter que je me réfère ici à la théologie et non pas à la religion, ou aux religions, pour lesquelles le discours peut être significativement différent.

Les réponses que chacune de ces disciplines apporte sur ces grandes questions sont-elles toujours complémentaires? Ne s’opposent-elles pas parfois clairement?

G. W. Les deux disciplines n’ont pas le même objet. Pour les scientifiques, il s’agit d’allier la réflexion et l’observation, et de formuler des hypothèses qui seront ou non vérifiées. Pour les théologiens il s’agit d’un autre objet, qui est ce que l’on appelle Dieu dans les monothéismes. Il n’y a d’opposition que lorsqu’un domaine veut empiéter sur l’autre. Par exemple quand Gagarine dit qu’il a bien regardé le ciel lorsqu’il était en orbite et qu’il n’a pas vu Dieu. Ou qu’une Église force Galilée à déclarer que la terre ne tourne pas.

Vous partagez cet avis?

F. P. En effet, tant qu’aucune des deux parties essaie d’imposer ses réponses à l’autre, aucune opposition ne peut exister, bien au contraire. D’ailleurs, nous n’avons pas été contactés pour fournir des réponses, mais pour expliquer ce que nous savons et ce que nous ne savons pas (encore) sur notre univers, pour discuter des difficultés et des approches, de ce qui nous motive. Rarement on trouve des réponses, des vérités absolues. Étrangement, les réponses sont bien moins intéressantes que les questions ou encore le chemin qui amène aux réponses. Nos échanges nous aident à penser en dehors des schémas préconçus.

Le manque de certitude nous rapproche
Francesco Pepe, directeur du Département d’astronomie

Quels sont les principaux points de convergence qu’il vous semble important aujourd’hui de souligner?

G. W. La volonté d’entrer en dialogue et le désir réciproque de mieux connaître ce que fait l’autre dans sa discipline, en quittant les méconnaissances et les caricatures.

F. P. Peut-être aussi encore la confirmation réciproque du sentiment qu’on est tellement petit et insignifiant dans cet univers (presque) infini en taille et en beauté.  Ces derniers temps nous avons beaucoup discuté du principe anthropique. Exprimé de manière très simpliste, il s’agit de la question de savoir si nous (l’humanité, le monde) sommes là par hasard ou si l’univers est réglé dès le départ de manière telle que nous puissions exister. Aucun de nous n’a de réponse à cette question (dans le sens d’une vérité démontrée), et c’est peut-être justement ce manque de certitude qui nous rapproche. La curiosité fait le reste.

Concrètement, que peut apporter la science à l’approche théologique? Des preuves rationnelles?

G. W. Certainement pas des preuves rationnelles! Kant a montré, dès le XVIIIe siècle qu’il est vain de prétendre apporter des preuves de l’existence de Dieu. Si une preuve de l’existence de Dieu pouvait être établie, depuis le temps que les êtres humains réfléchissent, cela se saurait! Il en est de même pour l’inexistence de Dieu. La théologie travaille scientifiquement à établir ce que signifie avoir foi en Dieu. Ou encore d’où viennent les textes fondateurs? par qui ont-ils été rédigés? Sur quelle durée  dans quel contexte? Établir aussi les interprétations nombreuses que l’on peut donner de ce texte, ce qu’il donne à penser, etc. Quant à la science, elle permet à la théologie d’accroître la consistance de sa réflexion, par exemple sur la question de l’origine, celle du temps et de l’éternité, celle de l’infini,etc.

Les images de l’univers sont un appel au décentrement
Ghislain Waterlot, doyen de la Faculté de théologie

Et inversement, comment l’astronomie peut-elle se nourrir de l’approche théologique?

F. P. Je crois qu’il faut juste réaliser que nous sommes toutes et tous des personnes, avant même d’être des chercheurs. Ce n’est pas une discipline qui se nourrit de l’autre, mais les personnes qui apprennent les unes des autres à travers la curiosité et le respect, l’admiration du savoir de l’autre, l’ouverture d’esprit, l’acceptation de ses propres limites et erreurs.

Vous-même, personnellement, quel élément relevé par l’astronomie vous a apporté sur le plan spirituel?

G. W. Il n’y en a pas un seulement, mais beaucoup! Je me contenterai ici d’en relever un. Le fait que notre univers serait composé de… plusieurs milliers de milliards de galaxies! Vous vous rendez compte qu’une seule galaxie est elle-même composée de milliards d’étoiles comme notre soleil et que les astronomes découvrent un nombre d’exoplanètes (soit des planètes qui tournent autour d’autres soleils) qui grandit à toute vitesse. Rien que cela a des conséquences importantes sur la réflexion théologique. Mais un autre élément encore compte beaucoup pour la vie spirituelle: la beauté des images que les astronomes nous donnent à contempler. Les images de l’univers ne sont pas seulement un miroir de nous-mêmes, mais un appel au décentrement.

Et de votre côté, y a-t-il un apport théologique qui ait modifié votre regard sur l’univers?

F. P. Difficile à dire. Je ne suis même pas sûr d’être capable de distinguer la nature de tous les apports qui ont formé et qui modifient constamment mon regard sur l’univers. Est-ce que l’émerveillement pour la beauté et l’immensité de l’univers c’est un apport théologique, astronomique ou simplement de la nature humaine? Je vous laisse juger.

Plus d’informations sur:

unige.ch/theologie/a_ciel_ouvert