Le boom des rites païens dans les pays baltes

Le boom des rites païens dans les pays baltes

Avec la disparition de l’occupant soviétique, les traditions païennes et folkloriques connaissent un nouveau souffle dans les pays baltes.

Au milieu d'une forêt dense du nord d'Estonie, seule l’inscription «Hiis», «bois sacré» en estonien, gravée sur un panneau de bois indique une présence inhabituelle dans les environs. Une autre planche affiche un symbole runique, qu’il est d'usage de frapper. Derrière celle-ci se dévoile une clairière verdoyante. Les visiteurs ont attaché des rubans autour des arbres et placé des œufs à la base, en signe d’offrande. Les traces noires au sol trahissent les vestiges d’un feu. «Tout ce qui y est apporté doit y être mangé ou brûlé dans le feu rituel. Par le feu, les dieux mangent. Par l'arbre sacré, les dieux boivent», affirme Tõnu Rehela, 28 ans, membre de la communauté estonienne écolo et néopaïenne Maausk depuis ses 16 ans.

Des jeunes séduits

Si les religions païennes et folkloriques semblent aujourd’hui archaïques, elles sont en plein essor dans les États baltes. La communauté Maausk, ainsi que le célèbre groupe néopaïen estonien, les Taaraists, ont triplé entre 2001 et 2011, selon les chiffres du recensement national. Une étude réalisée en 2014 par l'Université de Tartu indiquait que 61% des Estoniens croyaient que le néopaganisme était la «vraie» religion du pays. La situation est similaire en Lettonie et en Lituanie. C’est «principalement chez les jeunes» que ces traditions gagnent en popularité, déclare Inija Trinkūnienė, connue sous le nom de «Krive» la grande prêtresse de la communauté Romuva de Lituanie. «De plus en plus de gens nous demandent de célébrer des mariages. Ils veulent que leurs enfants soient bénis par les anciennes traditions», continue-t-elle, ajoutant que le phénomène est aussi valable chez les gens qui ne sont pas officiellement membres de la communauté. «De plus en plus de gens prennent conscience de ce qu'ils sont vraiment.» En 2001, seules 1200 personnes ont été identifiées comme Romuva. Mais, en 2011, ils étaient environ 5100, selon le portail d'information en ligne Delfi.

Bien que Inija Trinkūnienė organise des rituels pour les naissances, les mariages et les décès, ceux-ci ne sont pas reconnus par le gouvernement. Les débats sur leur reconnaissance officielle ont débuté en mai 2018. «Les cérémonies de mariage ne sont toujours pas reconnues par l'État, mais nous attendons que le Parlement prenne sa décision finale, explique Inija Trinkūnienė. Selon la loi sur les religions en Lituanie – vingt-cinq ans après notre enregistrement officiel, nous pouvons demander un statut plus élevé.» La Lituanie est la dernière nation d'Europe à s’être officiellement christianisée, en 1387. Il a fallu beaucoup de temps pour que la religion prenne racine. Du temps de l'Union soviétique, qui a occupé les pays baltes après la Seconde Guerre mondiale et jusqu'en 1991, le sentiment nationaliste a eu raison des religions autochtones.

La force du lien

Elles ont pourtant en partie résisté, car elles favorisent un lien avec la terre, les langues anciennes, les dieux anciens et les traditions qui constituent un moyen de préserver une forme d'identité nationale et de mémoire locale face à la puissance occupante. Selon Aldis Pūtelis, chercheur à l’Institut de littérature, folklore et d’art de l’Université de Lettonie, les mouvements païens alors bannis ont pourtant connu une renaissance en réaction au danger, devenant ainsi un moyen de renforcer le sentiment d’appartenance letton, suscitant notamment l’engouement des Lettons exilés.

Les anciennes religions offriraient plus que le christianisme, selon leurs partisans. «Les gens disent qu'ils recherchent une spiritualité qui n'est pas disponible dans les autres religions et un moyen de promouvoir la Lettonie»,  rapporte Uģis Nastevičs, porte-parole du mouvement néopaïen letton Dievturība. «La communauté s'est progressivement développée au cours des dix dernières années. Toutes les générations y sont représentées.» Inija Trinkūnienė raconte que lorsque son mari a célébré le solstice d'été en 1967, en allumant des feux sacrés et en priant les dieux et déesses lituaniens, il a été expulsé de l'université, a perdu son emploi et n'a pu retrouver de travail régulier avant le début des années 1990, lorsque la lutte pour l'indépendance a démarré.

Pendant ce temps, les communautés lituanienne Romuva et lettone Dievturība ont prospéré parmi les exilés de la guerre et de l'occupation soviétique. Aujourd'hui, le Dievturība a une succursale dans le Wisconsin et d'autres lieux d’Amérique du Nord, selon l'organisation, tandis que la communauté Romuva est notamment active dans l’Indiana. Les religions païennes ont été stimulées grâce à la prise de conscience croissante du changement climatique et la montée des mouvements conservateurs qui puisent dans un lien local profond avec la nature et un désir de protéger les espaces sacrés. «En Lituanie, il existe un mouvement fort contre la déforestation», note à ce titre Inija Trinkūnienė.

À l'extérieur de Tammealuse Hiis, le bosquet sacré de la forêt estonienne, un panneau indique que dans les années 1930 déjà, les gens convergeaient vers la région pour rencontrer des proches, jouer de la musique et danser. «La longue tradition des rencontres est morte pendant la Seconde Guerre mondiale, mais le pouvoir sacré du site lui est resté», écrit l'auteur local Ahto Kaasik, chercheur en folklore, directeur du Centre des sites naturels sacrés de l'Université de Tartu et membre d’une communauté païenne active dans cette forêt sacrée. Tõnu Rehela célèbre souvent Munadepüha, un équivalent folklorique de Pâques, dans ce coin de la forêt bosquet. Au cours de cet événement, sa communauté organise des rituels où les membres frappent des couteaux sur des haches pour imiter le bruit des cloches, et le chef du rituel prononce un discours à l’intention des anciens dieux et des ancêtres. «Parfois, nous percevons un signe au cours des rites. Une fois, qu'un chien est entré et a renversé une bouteille de lait. Peut-être que les dieux ne voulaient pas qu'on boive du lait ce jour-là, ou qu'ils voulaient le boire eux-mêmes.»