Jeûne de carême: faut-il encore s’imposer ça?

Jeûne de carême: faut-il encore s’imposer ça?

Comment accueillir ce temps de carême, alors que les restrictions sanitaires frustrent déjà nos petits plaisirs quotidiens? Retour sur une invitation spirituelle qui résonne singulièrement à l’ère du coronavirus.

Serait-ce la demande de trop? Alors que s’ouvre ce 17 février la période de carême, qui se poursuivra jusqu’au 4 avril, sa coïncidence avec les mesures de semi-confinement déjà en place en démoralise plus d’un. Pendant des mois, aucune sortie au restaurant n’a été possible, et la prochaine séance de shopping ou soirée entre amis ne peut être agendée à ce jour. Et ce, sans parler des craintes et des inquiétudes existentielles qui fragilisent beaucoup d’entre nous.

Faut-il dès lors vraiment renoncer volontairement à la viande, à l'alcool, à la nicotine, à la télévision ou aux sucreries en plus? «La crise du coronavirus s’est transformée en un exercice grandeur nature de dix mois pour apprendre à faire face à la souffrance, à la perte et à l'anxiété: nous avons plus que suffisamment jeûné», admet Hanna Jacobs, pasteure à Hanovre et chroniqueuse au magazine Time. Avec d'autres théologiens, elle fait la promotion d'une saison de la Passion quelque peu différente en 2021.

Le Covid-19 est déjà un jeûne en soi

«Nous nous sommes privés de tant de choses pendant des mois: ébats, événements culturels, gestes de tendresse, verres entre amis. Se priver maintenant d'une certaine nourriture pendant sept semaines passerait complètement à côté de la signification spirituelle du jeûne», poursuit la ministre allemande. Elle soupçonne d’ailleurs que moins de personnes que d’habitude vont jeûner au sens traditionnel du terme cette année.

Ces mois de pandémie ont de toute façon déjà été une période de recul, relève à son tour Andreas Hoffmann, pasteur à Francfort: «Nous sommes en isolement. Comme les moines dans leur retraite, cloîtrés dans un monastère, beaucoup de gens font aujourd’hui l'expérience du renoncement et de l'ascèse.» Et de préciser: «La retraite est quelque chose de difficile, mais aussi d'important.»

Ouvrir ses horizons malgré le confinement

Pour la théologienne protestante Susanne Breit-Kessler, le carême peut cependant aussi s’avérer un réel soutien spirituel pour certains, notamment pendant cette période de pandémie. Depuis 1983, l'Église protestante allemande invite les gens à participer à la campagne de carême «7 semaines sans». Cette année, l'action est placée sous la devise «Room to Play - Sept semaines sans blocage». Celle-ci est destinée à aider «les gens à découvrir plus de latitude dans leur vie et à laisser l'étroitesse derrière eux», formule la ministre munichoise, par ailleurs présidente du comité d’organisation de la campagne.

Jeûner n’est pas une obligation morale, souligne Susanne Breit-Kessler: «Le jeûne sert avant tout à se découvrir de petites évasions et de grandes libertés. Où et comment puis-je me développer d'une manière nouvelle et différente qu'auparavant?» Pour cette pasteure, la devise de cette année, «Room to Play», devrait également signifier un moment particulier «où je réfléchis à la façon dont les gens de ce monde sont connectés et à ce que l'on peut apporter soi-même à une mondialisation des cœurs».

Faire preuve de compassion plus que de volonté

Pour la pasteure Hanna Jacobs, il ne s’agit pas, pendant cette période de carême 2021, qui précède une deuxième fête de Pâques en temps de Covid, de «prouver sa force de volonté ni sa persévérance, ni de réduire les calories, mais bien de prendre le temps de la réflexion et de ne pas perdre de vue la souffrance». Il s'agit de «ne pas oublier de souffrir avec les autres». C'est pourquoi les protestants préfèrent parler du temps de la Passion (qui désigne les événements qui ont précédés la mort de Jésus sur la croix, ndlr) plutôt que du carême.

Hanna Jacobs en est convaincue, cette année particulière se prête bien au carême: «parce qu’il est une invitation à chercher ses propres ressources pour traverser les périodes de désert, tout comme Jésus a traversé les quarante jours dans le désert sans devenir fou».

Fragilité et nervosité

Lors de toute retraite, que celle-ci soit volontaire ou imposée, il n’est pas impossible que des peurs, des émotions refoulées ou d'autres sentiments remontent à la surface, pointe le théologien Andreas Hoffmann: «C’est largement le cas aujourd’hui avec les mesures de confinement: les nerfs sont à vifs, on a le regard fixé sur les informations. On  est obnubilé par la question de savoir ce qui va se passer.»

Il faut faire attention à ne pas se laisser prendre dans le maelström de la négativité, avertit le théologien. C'est pourquoi il invite chacun à «regarder avec amour ses démons et ses pensées lourdes, les accueillir, mais aussi les laisser partir». Ainsi, le carême pourrait devenir «un chemin vers la paix de l'esprit», d’autant plus nécessaire en cette période de crise sanitaire.