Focus sur la philosophie des Jeux olympiques

Focus sur la philosophie des Jeux olympiques

À quelques jours des Jeux olympiques de la jeunesse, l’historien Patrick Clastres pose un regard d’expert sur les «religions» de Pierre de Coubertin, le fondateur de l’olympisme. Interview.

Historien et professeur à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne, Patrick Clastres est un spécialiste de la pensée politique de Pierre de Coubertin et de son projet olympique. Ce baron français né en 1863 à Paris et décédé en 1937 à Genève a redonné vie aux Jeux olympiques à l’ère moderne.

Quel était le projet de Pierre de Coubertin?

À partir de l’années 1883, Pierre de Coubertin découvre en Angleterre l’éducation sportive organisée dans les écoles privées des élites que sont les public schools. Certains directeurs protestants, les «muscular christians», utilisent la pratique du sport pour viriliser les jeunes garçons et canaliser leurs pulsions. Coubertin est fasciné par cette éducation anglaise qu’il veut inoculer à la jeune élite française. Mais comme il rencontre l’opposition des nationalistes et des catholiques, des radicaux et des socialistes, il va internationaliser son idée et proposer de rétablir les Jeux olympiques sous une forme moderne.

Quel est son concept des Jeux?

Il a voulu créer des expositions universelles athlétiques, où des jeunes gens issus des élites concourent pour obtenir des médailles dans les différents sports nés en Europe occidentale. Il est inspiré par le pacifisme libéral. Pour lui, le meilleur moyen d’être un pacifiste, c’est d’affronter et de rencontrer d’autres jeunes gens sur les terrains de sport. Le patriotisme du muscle, combiné à la haute culture, vise à former des élites capables de prouesses coloniale, industrielle, commerciale. Encore faut-il que les athlètes s’affrontent de manière courtoise et chevaleresque sur le stade. Sa paix par le sport est compatible avec le patriotisme défensif, mais pas avec le nationalisme.

Son concept est-il inspiré par sa spiritualité?

Pierre de Coubertin a reçu une éducation royaliste et catholique dans sa famille et chez les pères Jésuites. Il va ensuite glisser vers un catholicisme plus progressiste qu’il découvre lors de son voyage aux Etats-Unis en 1889, et même se marier avec une protestante alsacienne à l’âge de 32 ans. C’est aussi un jeune homme très ambitieux qui suscite la méfiance dans une France devenue républicaine et laïque. Sa manière à lui de faire carrière, c’est de développer son patronage dans l’espace sportif qui est à mi-chemin entre la sphère domestique et la sphère publique. S’il invente le terme d’olympisme vers 1910 c’est pour mieux combattre les chauvinismes qui s’expriment dès 1908 à Londres, la quête de la gloire facile, la pression mise sur les jeunes gens par leurs entraîneurs, et toute l’exploitation commerciale. Dans les années 1920, il en vient même à parler de «religlio athletae».

En quoi consiste cette religion de l’athlète?

Il s’agit de créer un rempart contre tout ce qui pourrait menacer la pureté de l’athlète. Détachée de toute religion préexistante, cette «religio athletae» doit permettre de relier entre eux les sportifs par le souffle du fair-play et par la bravoure chevaleresque. Finalement, Coubertin est davantage inspiré par le Moyen-Âge chrétien et féodal que par l’antiquité grecque. La religion de l’athlète consiste à élever les jeunes gens spirituellement par le sport, à forger leur caractère dans une sorte de religion laïque qui se méfie de la politique et de l’argent. Il ira encore plus loin lorsqu’il décide que son cœur soit, à sa mort, déposé dans une stèle à Olympie, et que son corps soit inhumé au cimetière du Bois-de-Vaux à Lausanne.

Peut-on considérer l’olympisme comme une forme de religion?

Il s’agit en tout cas d’inventer une nouvelle religiosité où l’individu s’éprouve dans le sport, quasiment une ascèse, où les athlètes constituent une avant-garde au service de la paix sociale et internationale. Coubertin a une sainte horreur des foules et craint les accès révolutionnaires. Assurément, il franchit une étape supplémentaire avec le transfert de son cœur à Olympie. Faut-il voir dans les jeux olympiques une nouvelle Ecclesia, une assemblée des fidèles du sport olympique? Si on file la métaphore, Coubertin serait le prophète de l’olympisme qui crie dans le désert, les membres du CIO les grands prêtres, et les athlètes olympiques les desservants du culte. Avec ses nombreux écrits et discours, Coubertin aurait même produit un évangile olympique qui a encore aujourd’hui ses exégètes.