Le temps bien à sa place

Le temps bien à sa place

Protestinfo laisse régulièrement carte blanche à des personnalités réformées.

Cet été, la rédaction a choisi de donner la parole à ceux qui ont décidé de s’engager dans une carrière ministérielle. Le pasteur Etienne Guilloud partage une réflexion que lui ont inspirée les festivités du 1er Août.

Photo: CC(by-sa) jimynu

Pour la fête nationale, j’ai eu ce grand privilège d’être associé aux festivités d’un des onze villages de la paroisse où j’exerce mon ministère de futur pasteur consacré. Je dis privilège, car même si c’est mon cahier des charges qui m’impose froidement d’y être, c’est bel et bien l’accueil et le chaleureux sens du partage villageois qui garantissent que c’est une place qui m’est offerte, et non un temps qui m’est alloué. Parce que si le temps ne nous laisse guère d’autre choix que de le subir sans trop d’aménagement, il nous appartient de ménager des places, des espaces, des lieux qui donnent à ce passage du temps un air vif et enthousiasmant!

Ce jour-là, on m’avait réservé trois places: la première sur le terrain de jeu pour le traditionnel tournoi sportif, la deuxième au battoir pour l’apéro et le rôti offerts par la commune, et finalement la troisième sous les drapeaux pour décorer de nobles et saintes paroles la partie officielle.

De la beauté des humains

Au tournoi de sport, on m’a dit: «Voici ton équipe, tu feras partie des jeun's». A peine le temps de s’échanger nos prénoms que déjà le ballon de volley fuse d’un côté à l’autre du filet. Pas besoin de faire beaucoup de team building: l’effort suffit à nous assurer qu’on fait équipe ensemble! Au battoir, je prends place là où un bout de banc était vacant, et c’est après avoir trinqué avec mes voisins qu’il devient évident qu’on n’a pas besoin de savoir grand-chose les uns des autres pour être en communion. Deux heures et quelques verres de chasselas communal plus tard, c’est l’heure des discours, des chants et du feu. Tout le monde se tait. Tout le monde écoute. Tout le monde chante. La nuit tombe et condamne les visages inconnus à le rester. Tant pis: il n’y a jamais qu’une fête qui nous sépare d’une nouvelle rencontre, et quand tout le monde se connait dans un village, il suffit que deux ou trois se réunissent pour que la fête soit officielle!

De la beauté de la vie

Et voici que le lendemain, je me retrouve avec quelques municipaux au pied du feu à déterrer la douzaine de saucissons qui prenait racine sous les braises afin de festoyer à nouveau avec quelques habitants qui trouvaient dommage que les flammes de la fête ne survivent pas au bois consumé. Et c’est la fourchette fixée dans le saucisson et le regard accroché entre le Léman et les Alpes qu’un des municipaux m’explique qu’il y a des années où il fallait se battre pour les braises. Et l’autre de surenchérir qu’il y a des gens vraiment impossibles qui estiment avoir tous les droits! Ou plutôt n’avoir aucune obligation! Mais les deux s’accordent à dire que ces gens impossibles sont du village, et le font. Que pour chaque cheveu arraché de la tête d’un municipal il y a une personnalité qui plante le relief du village. Que pour chaque scandale communal il y a une histoire qui féconde l’identité.

Faire avec et aimer quand même

Finalement, je rentre chez moi, avec la conviction qu’il faut de tout pour faire un monde, et que dans un village, ce monde n’a guère d’autre choix que de faire ensemble. Ou plutôt, pour parler vaudois, de faire avec. Faire avec au sens noble. Non pas en étant dans la plainte de ce qu’on n’a pas, mais en cultivant la reconnaissance de ce qu’on a. Non pas en se disant qu’on ne peut rien faire, mais en se rappelant que l’Evangile ne nous appelle pas à la plainte impuissante, mais à la parole vivante. Faire avec comme Jésus qui ne s’arrête pas au manque de foi de ses disciples, mais qui les prend tendrement là où ils sont. Faire avec ce monde où tout semble se déchirer sans se résigner au manque d’amour et d’humanité de certains loin de nous, mais en relevant le défi de cet amour du prochain même quand ce dernier revendique les bonnes braises. C’est peut-être le seul choix vraiment crucial: celui d’obéir ou non au commandement d’amour même quand l’horizon se voile de contrariété. Celui d’aimer, et ainsi que le rappelle notre prière patriotique: celui d’aimer quand même.