«On ne met pas les questions éthiques en lois»

«On ne met pas les questions éthiques en lois»

Interview Philippe Genton, pasteur retraité de l’EREV, auteur de «Plaidoyer pour l’assistance au suicide» (Ed. Baudelaire), en amont de la votation au Grand Conseil valaisan sur l’accès au suicide assisté dans les EMS.

Comment en êtes-vous venu à être convaincu que le suicide assisté devait aujourd'hui entrer dans les mœurs?

C'est une attitude à laquelle les membres de ma famille paternelle, depuis mon arrière-grand-mère ont recouru. Non pas un recours à un acte de suicide, tel qu'il peut être organisé aujourd'hui en Suisse, mais par renoncement à vivre, dès lors qu'ils estimaient que le moment était venu pour eux de quitter la vie. Ils se mettaient au lit, ils invitaient les membres de leur famille et refusaient toute nourriture, jusqu'à ce qu'ils s'éteignent. Il ne nous est jamais arrivé de penser que nos ne secourions pas quelqu'un dont la vie était en danger, mais que nous accompagnions une personne aimée dans sa décision. Ils sont tous décédés après en avoir pris la décision et «s'être laissé mourir».

Votre activité de pasteur y a-t-elle également contribué?

Sur le plan paroissial, j'ai présidé une millier de services funèbres, j'ai donc accompagné des milliers de personnes entre les personnes directement concernées et leur entourage. J'ai constaté que la plupart des personnes en fin de vie, non seulement acceptaient cette échéance, mais souhaitaient que celle-ci connaisse les meilleures conditions. Si les souffrances font partie des conditions que l'on souhaite surmonter, il s’agit essentiellement de rassembler autour de soi et de prendre congé, de donner les dernières «consignes», échanger les derniers mots, les dernières caresses que l'on souhaite partager, et surtout régler les dernières blessures qu'il s'agit encore de libérer ou de guérir. Plusieurs personnes âgées ont souhaité un suicide assisté afin de s'offrir ces conditions de rencontre et de séparation avant que l'agonie les rende improbable. Mais elle n'osent le dire – et surtout insister.

Avez-vous participé à ces moments d’adieu?

J'ai eu l'occasion d'être sollicité par plusieurs familles pour de tels accompagnements. Je n'oublierai jamais cette femme, tenant contre son oreille son portable, en communication avec un vieil amant, quelque part à des milliers de kilomètres qui n'a cessé de lui parler au creux de l'oreille et du cœurs, tout en assistant de loin à ce qui était partagé. Elle est partie avec un grand sourire, né des amours qui l'entouraient. On peut imaginer, il est vrai, un même départ, sans suicide assisté. Oui, mais ainsi ce départ a été garanti…

Avez-vous suivi le projet de loi proposé aujourd'hui en Valais? Vous semble-t-il être adéquat?

Ma conviction est qu'il est erroné de faire une loi sur les question éthiques. C'est une fausse piste et une fausse solution. L'IVG en France, par exemple. Dès lors qu'il y a une loi, il est possible à toute femme d'exiger ce qui est désormais un droit. Cette exigence logique implique que praticien et patiente ne sont plus dans une structure de dialogue, mais d'arbitrage. Jugement rendu, ils sont enfermés dans une structure de contrainte. Si une loi contraint la direction d'un EMS par exemple, d'accepter une assistance au suicide dans son établissement, toute réflexion est désormais interdite au sein du personnel, comme au sein de la communauté résidente et de leurs proches. Mêmes conséquences au cas où une loi donne possibilité à la direction de s'y opposer. Il s'agit ici d'une question éthique. On ne met pas les questions éthiques en lois. On les confie aux personnes concernées, et on accepte le risque du débat et des désaccords. Ce n'est pas l'ordre social qu'il s'agit de garantir, mais le dialogue citoyen à qui est confié le vivre ensemble.

Qu'en est-il de la clause de conscience dans ces situations? Pour le médecin, les infirmières, les pasteurs et aumôniers, qui disent vivre dans ces situations un véritable cas de conscience.

Il est au cœur du problème si une loi, quelle qu'elle soit, réduit au silence et à la contrainte telles personnes concernées. Une désapprobation par une loi pourrait réduire au silence telle personne  qui souhaitait jusqu'à ce jour mettre un terme à sa vie. Dans le cas contraire, elle pourrait être ressentie comme une pression, comme une invitation à recourir à cette procédure. Les personnes âgées souffrent déjà bien assez du sentiment d'être une charge pour leur entourage, de coûter cher, de contraindre toute une société… Ma conviction est que la mort est aussi importante que d'autres événements de la vie.

C’est-à-dire?

On n'a pas mis les naissances dans le carcan de lois, mais on donne la possibilité aux personnes de faire des choix entre différentes procédures d'accouchements par exemple. La décision est prise entre personnel médical et contexte familial. De même qu’on a appris à faire de la naissance, non une affaire de femmes et de providence, mais une fête à laquelle tous sont invités à participer, il s'agit de dédramatiser et dédiaboliser la mort. Les soins palliatifs ont eu cette magnifique attitude. Répondre par une loi, c’est museler des personnes qui seront condamnées à une souffrance personnelle. Il restera de la souffrance, en raison du désaccord, c'est vrai. Mais chacun restera libre de l'exprimer, de la partager, de cheminer. Il en va de l'éthique: rester un chemin dont l'itinéraire change du fait des options prises par ceux qui l'empruntent, et non être posé comme un mur, pire: une digue! Le comportement humain n'est pas une inondation, mais une exploration.