Cacophonie générale autour du chant en Église

Cacophonie générale autour du chant en Église

Alors que le Conseil fédéral a levé le 14 avril l’interdiction de chanter lors d’assemblées religieuses, la majorité des Églises romandes ne savent toujours pas à quel saint se vouer. Explications.

MISE A JOUR Suite à  notre enquête, les cantons de Vaud et Fribourg ont clarifié la situation: les chants sont à nouveau permis dans ces cantons.

 

Chantera ou chantera pas? Telle est l’interrogation qui tourmente actuellement une majorité des Églises romandes. En cause: le manque de précision des annonces faites par le Conseil fédéral le 14 avril dernier quant à l’assouplissement de certaines mesures sanitaires, qui n’a pas manqué de semer la confusion, tant du côté des Églises que des Cantons.

La nouvelle ordonnance ne mentionne en effet pas spécifiquement la question de la pratique du chant lors d’offices religieux. Contacté pour plus de précisions, le Département fédéral de l’intérieur nous clarifiait cependant ce point le jour même. «Pour les services religieux, le nombre maximum de personnes est de 50, comme auparavant. L'interdiction de chanter ayant été levée, la communauté religieuse rassemblée peut à nouveau chanter pendant les offices (avec un masque)», indiquait Daniel Dauwalder, son porte-parole. Et d’ajouter cependant qu’ «aucune chorale d'église n'est autorisée à se produire, pas même une chorale professionnelle». Dans la foulée, l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS) confirmait alors cette ouverture et sa présidente, Rita Famos, s’en réjouissait.

Consensus alémanique, confusion romande

Reste que, fédéralisme oblige, depuis la fin de l’état d’urgence, les cantons sont libres d’adopter des mesures plus strictes que ce qui est édicté au niveau fédéral. Si en Suisse alémanique, à notre connaissance, tous les Cantons ont suivi la levée de cette interdiction, en Suisse romande, ils agissent non seulement en ordre dispersé, mais n’ont pas tous interprété les annonces fédérales de la même manière, comme l’a révélé notre enquête.

Dans le canton de Fribourg, Marc Valloton, responsable du Bureau de l'information du Conseil d’État, nous précise premièrement que «l’État de Fribourg n’édicte pas de dispositions particulières, il applique les mesures décidées par le Conseil fédéral». Pour autant, sa compréhension de celles-ci l’amène à formuler que  «concernant la pratique du chant, le seul assouplissement entré en vigueur au 19 avril est la possibilité pour les plus de 20 ans de recommencer à répéter dans le cadre d’une chorale, en groupe de 15 personnes maximum.» Et d’insister: «Pour le reste, rien n’a changé. Il est toujours interdit de chanter en groupe en-dehors du cercle familial, que ce soit dans une espace clos ou à l’air libre. L’interdiction concerne donc clairement les chants collectifs lors de célébrations religieuses ou d’autres manifestations.»

Pour autant, fortes de l’annonce que le Canton n’édictait pas de mesures supplémentaires,  l’Église catholique ainsi que l’Église évangélique réformée du canton de Fribourg (EERF) se sont accordées pour annoncer à leurs ministres et à leurs ouailles la reprise du chant sur les bancs de l’Église, nous informe de son côté Pierre-Philippe Blaser, président de l’EERF.

Du côté de Neuchâtel, le Canton se veut clair et stipule dans ses directives du 16 avril que «lors des célébrations religieuses, le chant choral à partir de deux personnes et le chant de l’assemblée sont interdits». Seul un soliste peut chanter à une distance minimum de 5 mètres des autres personnes. Même précaution du canton de Genève, comme nous le confirme Blaise Menu, modérateur de la Compagnie des pasteurs et des diacres de l’Église protestante de Genève (EPG). «À Genève, le Conseil d’État a décidé d’un statu quo: le chant en assemblée reste interdit, seul un soliste professionnel est autorisé à chanter.» Unique assouplissement spécifiquement genevois: «Les instruments à vent sont à nouveau autorisés, à condition qu’un espace libre de 25 mètres carrés soit respecté autour», précise le pasteur.

Chantez, «mais pas trop»

Le Valais a pour sa part opté pour une position à la normande: «Dès dimanche prochain, le chant sera à nouveau possible avec une certaine retenue quant au nombre de chants et au nombre de couplets», indique Gilles Cavin, président de l’Église réformée évangélique du Valais (EREV). Le service de presse du Département de la santé, des affaires sociales et de la culture valaisan n’émet pas plus de précisions comptables, nous formulant

simplement que «les personnes participant aux assemblées religieuses sont autorisées à reprendre quelques refrains entonnés par le soliste».

La palme de la confusion revient sans conteste au Canton de Vaud, qui tergiverse sur la question depuis mercredi dernier. En effet, une première directive a été publiée le vendredi 16 avril stipulant que le chant restait interdit lors des offices religieux. Lundi 19 avril, le document disponible sur le site du Canton était corrigé: il ne mentionne plus l’interdiction, mais ne précise pas non plus que le chant est désormais autorisé. Depuis, les différentes institutions ecclésiastiques vaudoises tentent d’obtenir des réponses – sans succès.

Mercredi 21 avril, soit une semaine après les annonces du Conseil fédéral, l’Église évangélique réformée vaudoise (EERV) nous confirme toujours attendre des éclaircissements de la part l’état-major de gestion de crise du canton de Vaud, «les réponses obtenues étant partiellement contradictoires entre le fédéral et le cantonal», précise Carole Delamuraz, responsable de la communication.  «La communication avec les instances cantonales n’est pas aisée et nous n’avons pas encore de réponses», confirme également Laure-Christine Grandjean, responsable de la communication du Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg.

Du côté de la Fédération romande d’Églises évangéliques (FREE), les réponses n’ont pas été plus satisfaisantes. Pour l’heure, le canton de Vaud renvoie la balle à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). «Le délégué aux Affaires religieuses du Canton de Vaud a répondu à notre demande en déclarant ne pas pouvoir "répondre à la question de savoir s'il est désormais possible de chanter avec un masque. Il faut pour ce faire que les personnes concernées s'adressent directement à l'OFSP"», relate Philippe Thueler, son secrétaire général.

Cafouillage communicationnel

Et c’est bien là le problème, analyse Christian Kuhn, directeur du Réseau évangélique suisse (RES). «Les décisions quant au chant lors des offices religieux n’ont pas été exprimées explicitement par l’OFSP sur ses canaux. Ces précisions se sont faits lors d’échanges privés. Cela donne l’impression que les Églises en savent davantage que les Cantons avec lesquels elles doivent interagir.» Et d’asséner un peu ironiquement: «C’était plus facile lorsque l’on était en état de crise avec la Confédération qui avait tout en mains. On est ici face à un véritable défi de communication.»

Pour le chef du service de la consommation et des affaires vétérinaires du Canton de Neuchâtel Pierre-François Gobat, qui a choisi de se conformer à la lettre à l’ordonnance fédérale, le problème est plus sérieux encore. Pour lui, les directives édictées par le Conseil fédéral le 14 avril sont claires et l’OFSP n’a pas à donner des interprétations par messages privés. «Le Département de l’intérieur ne peut pas édicter des directives techniques. C’est le texte de base qui fait foi. Nous n’avons pas à l’interpréter mais à l’appliquer», affirme-t-il. «Si l’OFSP considère que tout n’a pas été pensé dans l’ordonnance – ce qui peut très bien arrivé – il devrait alors proposer au Conseil fédéral une adaptation de celle-ci.»

Ce cafouillage n’est pas sans effets sur les communautés religieuses, qui ne savent dès lors plus à quel saint se vouer. «Au-delà du défi juridique à relever pour y voir clair, une telle confusion laisse le sentiment de décisions finalement arbitraires. Cela nourrit par ailleurs les tensions entre les plus prudents et ceux qui veulent revenir "à la normale", chacun trouvant une pratique cantonale pour justifier son point de vue», confie alors Philippe Thueler. Et d’ajouter: «Si l'on peut comprendre que cette question semble secondaire aux autorités, une concertation cantonale romande nous serait très utile.»

Mais d’ici là? Chantera ou chantera pas dans le canton de Vaud? Dans l’attente de précision, l’EERV et la FREE ont décidé d’en rester aux dispositions fédérales, donc à la levée de l’interdiction. Contacté à plusieurs reprises pour les besoins de cette enquête, le délégué aux Affaires religieuses du canton de Vaud reste injoignable. Le Canton pour sa part promet une clarification d'ici à vendredi.