Dessine-moi un Dieu

Dessine-moi un Dieu

Film d’ouverture du festival Visions du Réel, le documentaire «Gods of Molenbeek» de la Finlandaise Reetta Huhtanen capture, tout en spontanéité, les interrogations d’un jeune enfant de 6 ans en quête d’un Dieu pour sa propre existence – le tout au cœur d’un quartier désormais connu pour son islamisme radical et ses liens avec le terrorisme. Interview.

Présenté en première suisse lors de la soirée d’ouverture de Visions du Réel ce vendredi 5 avril, «Gods of Molenbeek» s’annonce déjà comme le film-événement de cette 50e édition du festival nyonnais. Alors que le nom de ce quartier de Bruxelles n’évoque plus à la face du monde que les tristes sires du terrorisme islamiste, la réalisatrice finlandaise Reetta Huhtanen nous emmène à la rencontre de l’innocence même sous les traits d’Aatos, un jeune enfant de 6 ans obsédé par la question de Dieu. D’une fraîcheur et sensibilité des plus pures, la cinéaste interroge nos différences tout comme notre besoin de verticalité. Rencontre.

Comment vous est venue l’idée de ce film?

Tout a commencé il y a trois ans, lorsque j’ai commencé à entendre des histoires intéressantes concernant le fils de ma sœur Aatos et leur quotidien à Molenbeek. Alors que les préjugés contre les islamistes prenaient de l’ampleur à travers le monde, Aatos devenait quant à lui de plus en plus intrigué par la société musulmane qui l’entourait, la manière dont cette religion s’inscrivait dans sa vie quotidienne, et tout spécialement dans celle de son meilleur ami, Amine. Aatos posait continuellement des questions sur Dieu, ou les dieux. Et comme il n’appartient pas  à cette communauté musulmane, il a d’une certaine manière ressenti le besoin de trouver son propre Dieu. Ce fut le point de départ du film, j’ai senti que quelque chose de vraiment intéressant se passait dans la vie d’Aatos, et celle de ses amis. Mais je devais agir rapidement parce que les protagonistes étaient de jeunes enfants et que tout pouvait s’arrêter tout aussi vite. Nous avons donc immédiatement commencé à tourner.

Comment vous expliquez-vous sa si forte curiosité?
Une des raisons peut être le fait de son environnement, à Molenbeek, où la religion est omniprésente. Cela a dû le questionner et il a voulu en savoir plus sur cette religion et ce Dieu qu’il voyait partout autour de lui. La deuxième raison tient peut-être au fait que sa famille n’est pas du tout religieuse et donc qu’il n’obtenait pas de réponses assez claires et complètes à la maison. Il a donc compris qu’il devait trouver ses propres réponses.

Je me suis aussi aperçue, lors du tournage, que les autres enfants de son âge commençaient aussi à se poser plus ou moins les mêmes questions. Pour la première fois de leurs existences, leurs questionnements ne se posent plus sur des sujets concrets, mais entrent dans le domaine de l’abstrait et des concepts: qu’est-ce que Dieu, la mort, l’infini, le temps? D’une certaine manière, dans ce film, Aatos commence à s’interroger sur ces éternelles questions que l’on continue de se poser tout au long de notre vie…

Et évidemment, aussi, Aatos est précisément ce genre de personnes qui pensent en profondeur et qui demandent toujours pourquoi et n’accepte pas les réponses faciles. Dans le film, à plusieurs reprises, vous pouvez le voir insister «Mais pourquoi?» quand son ami essaie de lui donner des réponses ou des explications trop simplistes.

Était-ce important pour vous que ce film se passe à Molenbeek? La quête d’Aatos aurait-elle été différente ailleurs?

Je crois que beaucoup de choses concernant l’immigration et l’afflux de réfugiés partout en Europe peut être vue sous une forme condensée à Bruxelles. Le quartier de Molenbeek est largement représentatif des défis auxquels l’Europe doit faire face aujourd’hui. L’immigration et le multiculturalisme constituent un potentiel formidable, mais de l’autre côté, cela génère également beaucoup de peurs et de préjugés. Dans ce sens, c’est très important que la quête d’Aatos prenne place à Molenbeek, car on peut apprendre de la curiosité d’Aatos, s’inspirer de la manière dont il se confronte aux choses qu’il ne comprend pas plutôt que de se braquer. Il s’empare alors de la question et s’y plonge plus profondément pour pouvoir vraiment comprendre. Aatos brise les préjugés.

Alors, d’une certaine manière, Molenbeek est ce cadre plus grand qui donne aux micro-événements de leurs vies d’enfant un sens beaucoup plus large.

Qu’est-ce qui vous a le plus surprise, finalement, en réalisant ce film?
Une des grandes surprises a sans aucun doute été l’attaque terroriste à Bruxelles, le 22 mars 2016, qui est intervenue pendant le tournage, et qui a naturellement élargi le sujet du film…

Ensuite, j’ai été étonnée de voir à quel point les enfants de 6 ans étaient déjà intelligents. Ils sont joyeux, pleins de vie et en même temps ils réfléchissent déjà en profondeur. Et comment ils réfléchissent et absorbent les croyances des adultes et comment ils construisent leurs propres visions du monde – et même s’ils sont encore si petits!
Qu’avez-vous appris justement sur eux et leurs croyances?
Ils ne tracent pas de ligne de démarcation entre «nous» et «les autres» à partir de leurs différentes religions et visions du monde, comme nous le faisons si souvent en tant qu’adultes. Ils trouvent toujours plus de choses qui les relient que d’éléments qui les divisent. En jouant, ces enfants peuvent argumenter sur des sujets fondamentales en lien avec leurs visions du monde, mais sans se juger. Ils expriment juste ce qu’ils pensent et continuent de jouer ensemble.

«Gods of Molenbeek»

Visions du Réel, Nyon

Ve 5 avril, 19 h

Sa 6 avril, 16 h