Les abus spirituels, des délits rarement punis

Les abus spirituels, des délits rarement punis

Pour la première fois, le tribunal de l’Église d’Angleterre a suspendu un prêtre coupable d’abus spirituels
Des maltraitances bien réelles, particulièrement difficiles à prouver.

Photo: CC (by-nc-nd) Paul

Par Laurence Villoz

Sur une période de 18 mois, le pasteur Timothy D. du diocèse d’Oxford a soumis un jeune homme de 15 ans à des séances intensives de prières et de lectures de la Bible le contraignant également à rompre avec sa petite amie. À cette époque, les faits remontent à 2011, le ministre avait emménagé chez la mère du garçon qui travaillait elle-même dans la paroisse devenant le mentor de son fils. Fin 2017, le tribunal de l’Église d’Angleterre a reconnu ce pasteur coupable d’abus spirituels, selon un article du Guardian, repéré par evangeliques.info. Une première dans l’histoire de l’Église anglicane.

Concrètement en quoi consistent les abus spirituels? «Dans le cas du prêtre anglican, c’est de la manipulation, de la contrainte mentale et des chantages. Il s’agit de réduire l’indépendance et l’autonomie d’une personne à des fins qui peuvent être variées, mais qui se caractérisent toujours par une sorte d’obéissance et de soumission», explique Philip D. Jaffé spécialiste en psychologie légale et professeur à l’Université de Genève.

Au tribunal, l’adolescent a expliqué que cela avait été affreux et dévastateur d’être encadré par Timothy D., mais qu’il ne s’était pas senti capable de contester son autorité, souligne encore le Guardian. «La personne se sent comme violée psychologiquement. Elle a la sensation d’être niée dans son intégrité de personne indépendante. Et non seulement, elle est niée, mais avec sa propre complicité, devenue otage d’un autre. Ce qui est horrible dans ce genre de situation, c’est qu’on est à la solde de quelqu’un, qu’on est en révolte intérieure sans trouver d’issue», ajoute encore le psychothérapeute spécialiste des droits de l’enfant.

L’emprise spirituelle

Pour le psychologue, la situation est d’autant plus compliquée quand l’auteur est une figure religieuse. «Casser avec la personne qui représente notre religion est encore beaucoup plus difficile que si c’était une personne lambda, car elle incarne quelque chose de mystique». Si se libérer de ce genre d’emprise est psychologiquement compliqué, prouver les faits pour demander réparation l’est encore plus.

En Angleterre, il existe des tribunaux ecclésiastiques, ce n’est pas le cas en Suisse où ce sont les ressources humaines, les évêques et les conseillers synodaux qui représentent les autorités religieuses. «Au sein des responsables religieux, on constate souvent du copinage, de la compréhension mal placée. Les scandales dans l’Église catholique en sont des exemples. Et au niveau légal, c’est très difficile d’entamer une procédure si l’auteur nie, car il n’y a pas de marques ou de lésions physiques pour prouver les faits. De plus, dans le cas d’abus spirituels, la personne accusée peut faire valoir de manière un peu perverse qu’elle ne faisait que son travail».

En effet, pour le spécialiste, «les prêtres, les pasteurs, les rabbins sont des artistes de la manipulation, dans le bon sens du terme généralement. Ils savent manier le verbe, se référer à des principes louables, travailler avec le mental des personnes, leur apportant de belles et bonnes choses. Mais certains d’entre eux, pervers, psychopathes, utilisent de façon très sombre cette capacité».