Voyage aux sources mystiques de l’Amazonie

Voyage aux sources mystiques de l’Amazonie

Des Suisses en quête d’expériences spirituelles partent chaque année en Amazonie consommer de l’Ayahuasca, un breuvage chamanique ancestral. Le vaudois Guido Albertelli, ancien professeur de philosophie, est l’un d’entre eux. Rencontre.

Par Martin Bernard, texte et photo

«C’est le genre de motifs qui surgissent lors des visions». Guido Albertelli, 54 ans, nous reçoit dans son bel appartement lausannois situé à quelques encablures du lac Léman. Il nous explique la signification d’une tapisserie représentant des sortes de fresques géométriques colorées typiques de l’art chamanique sud-américain. L’homme fait partie de ces Suisses (leur nombre exact est inconnu) partant chaque année en Amazonie pour effectuer des «retraites initiatiques» en consommant, notamment, de l’Ayahuasca. Ce breuvage psychotrope à base de plantes est utilisé traditionnellement par les chamanes de certaines tribus amazoniennes pour entrer en contact avec les «esprits de la nature», dans un but divinatoire ou pour guérir des malades.

Comme beaucoup d’Occidentaux, Guido Albertelli décrit l’expérience comme «un travail de guérison» entrepris dans le cadre d’une «quête spirituelle». Il rentre d’ailleurs tout juste d’un nouveau séjour de près de trois semaines au Pérou. Il s’agissait de son deuxième voyage après un premier périple effectué entre décembre 2015 et janvier 2016. Durant cette période, cet ancien professeur de philosophie au gymnase Auguste Piccard (Lausanne) et père de trois enfants traverse des moments de doutes. Doit-il ou non quitter son poste confortable pour réaliser d’autres aspirations?

Dans les bras d’Ayahuasca

Il décide de s’octroyer une année sabbatique pour y réfléchir, mais aussi pour sortir des sentiers battus et «bousculer son arsenal mental rationnel» dominé par le besoin de sécurité. Adepte du chamanisme depuis 2012, il planifie un séjour en Amérique du Sud. Après quelques péripéties, une amie française travaillant dans une communauté indigène péruvienne lui parle d’un centre «d’étude de la médecine des plantes» près de la ville de Pucallpa. «Je souhaitais avoir une recommandation fiable. Il y a tout et n’importe quoi dans le domaine de l’Ayahuasca. Il faut être très prudent, car les effets sont puissants et pourraient être dangereux sans un accompagnement expérimenté», souligne Guido Albertelli.

Sur place, «un lieu magnifique et sacré depuis longtemps», la rupture est totale. «Il n’y a pas de réseau, et très peu de distractions». Les repas sont frugaux, et accompagnés d’une diète de plante médicinale, partie importante du «traitement». Les «cérémonies» d’Ayahuasca ont lieu tous les deux ou trois jours. Celles-ci se tiennent deux heures après le coucher du soleil dans une hutte ouverte, et durent environ quatre heures. Chaque participant se voit attribuer un matelas, une couverture et un seau. Le chamane, au centre de la hutte, distribue les gobelets contenant le breuvage. Des chants, les icaros, rythment l’ensemble.

«Les visions commencent après une demi-heure environ avec l’apparition de grilles lumineuses, bien que les effets soient variables d’une personne à l’autre», raconte Guido Albertelli. «Il peut arriver que rien ne se passe. D’autres fois, l’expérience est puissante. Un soir, un personnage est venu me prendre par la main, et la sensation était très réelle. Une autre fois, après un moment de plénitude, une vague de terre m’a recouvert et un impressionnant visage mi-bête, mi-démon est apparu. Je n’ai cependant jamais vécu de moment de terreur». L’expérience est souvent ponctuée de vomissements, car la boisson a très mauvais goût, mais aussi parce que «la purge fait partie du rituel». «Une fois sous l’effet de la plante, il est souvent possible de garder un certain contrôle sur ses visions. Mais il est en revanche impossible d’arrêter», précise l’ancien professeur.

«Libérer la vie»

Qu’est-ce qui peut bien pousser un Occidental à vivre cela? «La cérémonie débouche sur un état de clarté, de confiance, de stabilité, de tranquillité, et le sentiment d’avoir été débarrassé de quelque chose», assure Guido Albertelli. «Ces états altérés de conscience bousculent nos conceptions de l’être humain». A en croire leurs adeptes, ils permettent de faire tomber les barrières entre l’homme et son environnement, et de recréer un lien entre le monde matériel et le monde spirituel.

Pour Guido Albertelli, cependant, les visions devraient être recherchées en toute lucidité, et précédées d’un vrai travail intérieur. «Le risque est de devenir dépendant de ces plantes, alors qu’elles s’intègrent seulement dans un cheminement personnel et spirituel, sans en être la finalité». Dans ce sens, l’Ayahuasca n’est pour lui qu’un des nombreux moyens permettant de «se reconnecter avec nos propres ressources de vie et notre sagesse intérieure». «Libérer la vie» est d’ailleurs le nom du site qu’il a créé afin de partager cette philosophie. Il y propose des accompagnements chamaniques et philosophiques, et offre un soutien à des étudiants ayant décidé de préparer leur maturité fédérale en autodidacte. Pour encourager «l’étude comme chemin vers les espaces de la liberté— c’est-à-dire avant tout vers un accès autonome à la force de vie, à la puissance de l’intelligence, que chacun porte en soi».