Ichthus, le poisson qui symbolise le christianisme

Ichthus, le poisson qui symbolise le christianisme

Qu’est-ce qui se cache derrière le terme ichthus? Entre mot de passe et acrostiche, ces cinq lettres, qui signifient le poisson, cachent la profession de foi du christianisme. Depuis le premier siècle, ce symbole est représenté dans des monuments de l’histoire chrétienne et même collé à l’arrière des voitures.

Photo: DR

«Le poisson, ichthus en grec, fait partie des plus anciens symboles chrétiens avec l'ancre et la colombe», explique Christiane Furrer, maître d’enseignement et de recherche (MER) à la faculté de théologie et de sciences des religions, de l’Université de Lausanne. Persécutés par les autorités romaines, les premiers chrétiens au Ier siècle, ont utilisé ichthus comme code secret pour se reconnaître entre eux, jusqu’au IVe siècle.

«Le poisson a une place importante dans la Bible et est présent dans plusieurs récits», ajoute Christiane Furrer. Par exemple, dans l’Ancien testament, on le trouve dans le Livre du prophète Jonas ou le Livre de Tobie. Mais, c’est surtout dans le Nouveau testament qu’il apparaît souvent. Il est au centre de la pêche miraculeuse et de la multiplication des aliments. On le retrouve aussi lors de la résurrection et de l’eucharistie.

«Il a une valeur magique dans l’antiquité car il vit dans un élément où l’homme ne peut respirer et meurt, là, où l'homme sait vivre», explique Christiane Furrer. Mais, dans le langage figuré de la primitive Eglise, la vie est représentée par la mer et les hommes sont des poissons. En venant sur terre, le Christ est devenu poisson pour rejoindre les hommes. Dans les années 1970, représenté par deux demi arcs de cercle, ce symbole a commencé à être popularisé parmi les protestants évangéliques qui parfois le collent à l’arrière de leurs voitures.

Un message caché

Mais ichthus «est aussi un acrostiche au second degré», précise la spécialiste en grec biblique. Chaque lettre du mot ichthus, ἸΧΘΥΣ en grec, est la première de la profession de foi «Jesus-Christ, fils de Dieu, sauveur». I (Iota) pour Ἰησοῦς – Iêsoûs – signifie Jésus. Le X (Khi) est la première lettre de Χρειστὸς – Khristòs – le Christ. Θ (Thêta) fait référence à Θεοῦ – Theoû – de Dieu. Quant au Υ (Upsilon), Υἱὸς – Huiòs –, c’est le fils, en français. Et finalement le Σ (Sigma) symbolise Σωτήρ – Sôtếr –, le sauveur.

On peut ainsi se demander si l’inscription a été créée avant l’image. Selon Le dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, la formule sacrée, «Jesus-Christ, fils de Dieu, sauveur», qui a été employée ouvertement, dans un premier temps, a dû être déguisée en un mot de passe: ichthus. Puis, «le voile ayant été jugé encore trop transparent, l’idée est venue de substituer au mot l’image matérielle».

Si ichthus fait référence au Christ, les vingt-sept lettres de cette profession de foi, Ἰησοῦς Χρειστὸς Θεοῦ Υἱὸς Σωτήρ, constituent l’acrostiche des vingt-sept premiers vers d’un poème (cf. encadré). Ichthus est donc l’acrostiche d’un acrostiche, ou aussi appelé acrostiche au second degré. Ce texte nous est parvenu grâce à Constantin Ier, empereur romain entre 306 et 337, qui l’a intégré à son manifeste aux chrétiens, après s’être converti au christianisme. Ce poème, très sombre, décrit le jugement dernier.

La traduction du poème

Ce texte fait partie du Manifeste aux chrétiens de Constantin Ier, il a été écrit en grec. Les vingt-sept premiers vers commencent par les lettres comprises dans «Jesus-Christ, fils de Dieu, sauveur». En voici une traduction française du Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie.

«La terre se couvrira de sueur, quand le signe du jugement aura lieu. Et le roi, qui doit régner dans les siècles, viendra du ciel, apparaissant pour juger toute chair, et le monde tout entier. Et les mortels croyants et incrédules verront Dieu très-haut avec les saints, à la fin du temps. Il se met à juger à son tribunal les âmes des hommes vêtus de chair, au moment où le monde entier devient enfin terre inculte et couverte d’épines. Et les mortels vont jeter leurs idoles et tout ce qui compose leur richesse. Et le feu parcourant dans toutes leurs parties la terre, le ciel ainsi que la mer, les consumera entièrement; il brûlera jusqu’aux portes de la prison de l’enfer. Alors toute chair appartenant aux saints morts viendra à la lumière libre; et le feu fera éternellement justice des hommes sans lois. Les actions qu’un chacun aura commises en secret, il les révélera toutes alors; car Dieu découvrira l’intérieur des poitrines ténébreuses, en y portant la lumière; et du milieu de tous ces malheureux partiront des gémissements et des grincements de dents. L’éclat du soleil s’effacera, ainsi que les chœurs des étoiles. Dieu repliera le ciel sur lui-même; et la clarté de la lune s’éteindra aussi. Il exhaussera les vallées, et fera disparaître les hauteurs des collines, et aucune affligeante élévation ne se montrera plus parmi les hommes. Et les montagnes seront égales aux plaines. Et la mer entière n’offrira plus de navigation; car la terre aura été brulée par la foudre avec les sources, et les fleuves aux flots retentissants seront taris. Et la trompette fera retentir du haut du ciel un son plein de désolation, déplorant la folle perversité et les désastres et les désastres du monde. Et alors la terre entr’ouverte montrera le chaos du Tartare. Et tous les rois comparaîtront devant le tribunal de Dieu. Et du haut du ciel coulera un fleuve de feu ainsi que du soufre. Et alors bien certainement se montrera le signe, marque distinctive pour tous les mortels, le bois, parmi les fidèles, objet de fierté et d’amour, vie des hommes pieux, et scandale du monde, éclairant les élus par les eaux dans les douze sources, verge conduisant le troupeau, et de fer par sa domination. Tel est celui qui à présent se trouve écrit en tête de nos vers acrostiches, notre Dieu, sauveur, roi immortel, celui qui a souffert pour l’amour de nous».

Fernand Carol et Henri Leclercq, Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie. Paris, 1912. Volume 14, colonnes 2001 et 2002.