Aung San Suu Kyi, une femme enfermée qui a défié le pouvoir

Aung San Suu Kyi, une femme enfermée qui a défié le pouvoir

Aung San Suu Kyi a été libérée samedi 13 novembre, une semaine après les premières élections qui se sont tenues en Birmanie depuis 20 ans. La Cour suprême de Naypyidaw, la capitale du pays depuis 2005, l'avait condamnée à 18 mois d'assignation à résidence en août 2009. Considérée comme une menace par la junte au pouvoir, le Prix Nobel de la Paix 1991 aura vécu en résidence surveillée sans interruption depuis 2003 et pendant plus de 15 ans sur les 21 dernières années.




Le nom de Aung San Suu Kyi revient régulièrement à la une des journaux. Dans son pays, au Myanmar (Birmanie), on l’appelle simplement la « Dame ». Ce titre respectueux et plein d’affection ne cherche pas, comme on pourrait le croire à l’étranger, à diminuer son importance ou à édulcorer son statut révolutionnaire. Au contraire, c’est une façon de dire que la connaître, c’est se soucier du Myanmar lui-même.

Mais qui est cette femme, dont les cheveux sont souvent ornés d'une fleur de lotus. Suu Kyi a tenu bon depuis des années. Certains ont bien sûr dénoncé sa naïveté ou estimé qu’elle avait trop facilement discuté avec la junte. Pour quelques politologues, elle est même loin de faire preuve du machiavélisme nécessaire.

Peut-être. Mais ce qui impressionne, c’est la ténacité d’une femme qui a épousé la condition du peuple birman alors qu'elle avait l'opportunité de fuir à l'étranger. En 1995, quand elle a brièvement retrouvé la liberté, elle a déclaré : « Les ennemis les plus amers en Afrique du Sud travaillent maintenant ensemble pour améliorer de la situation de leur peuple. Pourquoi ne pourrions-nous envisager un processus analogue ? »

Bouddhiste, elle insiste dès le début de son engagement sur la nécessité d’une lutte non violente en faveur des droits humains et s’adresse à son peuple comme à des individus dignes de respect et d’amour. Malgré la chape de plomb qui l'étouffe, elle ne se laisse pas intimider et ne recule pas.

Suu Kyi, qui s'inspire aussi de figures comme celles du Mahatma Gandhi et de Martin Luther King, réaffirme constamment son ouverture au dialogue : « La démocratie n’est pas quelque chose que vous recevez des autres. Vous devez la construire en vous-même. Si Nelson Mandela pouvait travailler avec des Blancs, je puis faire de même avec la junte. »

Jalons historiques

Suu Kyi est née en 1945, à l’époque où de sérieux changements s’opéraient en Birmanie.. Son père, Aung San, est alors plongé au coeur des événements qui boulversent un pays en route vers l’indépendance. Le 27 janvier 1947, il signe un accord avec le Premier ministre anglais Clement Attlee, stipulant que la Birmanie organiserait des élections démocratiques pour y parvenir. 

En juin 1947, les Birmans élisent une Assemblée constitutionnelle, mais un mois plus tard, Aung San est assassiné ainsi que six autres dirigeants réunis pour un cabinet ministériel. U Nu, un collègue de Aung San rescapé, devient le premier – et jusqu’à ce jour le seul – Premier ministre élu démocratiquement en Birmanie, car en 1962, un coup d’Etat militaire met fin à la démocratie naissante.

Suu Kyi vit alors à l’étranger : en Inde, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, au Bhoutan et au Japon. Elle commence à étudier le bouddhisme et la méditation qui allaient l’accompagner durant ses années de lutte, dès son retour au pays en 1988 au chevet de sa mère mourante. Précipitée dans l’opposition qui s’organise, elle reprend le flambeau de son père et en appelle alors très vite à une véritable révolution spirituelle.

8.8.88 à 8 h.08


Son retour au Myanmar coïncide avec d’importantes manifestations durement réprimées par la dictature en place. Le 8 août 1988 à 8 h.08 du matin, une grève générale fige le pays tout entier. La répression est terrible.

Suu Kyi et ses collègues adressent au gouvernement birman une lettre, rendue publique le 18, demandant la formation d’un comité indépendant destiné à conduire le pays vers des élections multipartites, qui se concluait ansi: « Si nous avions à choisir entre le bien du parti et celui de la nation, nous choisirions ce dernier. »

Le 24 août, Suu Kyi prononce un célèbre discours à la pagode et apparaît comme l’icône de la nation. Ainsi devient-elle progressivement une force d’unité pour plus de 200 partis d’opposition, en dépit de son inexpérience politique.

En 1990, la junte autorise la tenue d’élections que la Ligue nationale pour la démocratie de Suu Kyi remporte haut la main, résultat que la junte ignore totalement jusqu’aux toutes récentes élections. (S.M.)
A lire

- Vous pourrez lire prochainement sur le site de ProtestInfo une interview de Curtiss DeYoung, l'auteur américain de « Mystiques en action. Dietrich Bonhoeffer, Malcolm X et Aung San Suu Kyi », un livre qui vient d'être publié chez Labor et Fides, dans une traduction de Serge Molla.