L'Eglise vaudoise se heurte à la Trinité

L'Eglise vaudoise se heurte à la Trinité

Non, l’Eglise réformée vaudoise n’a pas jeté la Trinité aux oubliettes
Pour autant, le texte retenu par son Synode n’exprime pas clairement une foi trinitaire. Ce compromis crée l’émoi, ravivant le débat entre théologiens. Pour certains, ce dogme définit le christianisme. Pour d’autres, il n’en constitue qu’une expression. Eclairage.« Il paraît que l’Eglise réformée vaudoise a renoncé à la Trinité ». Entendue dans les couloirs d’une institution soeur de Suisse romande, la rumeur semble avoir gagné de nombreux esprits. Assez en tout cas pour que Bonne Nouvelle, le tout ménage de l’EERV se fende d’un article en forme de mise au point. « Non, on n'a pas jeté la Trinité ! », titrait ainsi le rédacteur Gabriel Dutoit. Un christianisme seulement trinitaire ?L’origine du malentendu se situe au coeur d’un débat du Synode vaudois d’avril dernier autour de l’adoption de nouveaux principes constitutifs. Désireux de se donner une base théologique claire, les délégués de l’EERV devaient trancher cette épineuse question : doit-on croire à un Dieu trinitaire – Père, Fils, Saint-Esprit - pour être chrétien ? Et, à l’inverse, faut-il expliciter en toute lettres son attachement à un dogme adopté à la fin du 4e siècle, aux conciles de Nicée et Constantinople ? « A l’époque, la survie du christianisme était en jeu, rappelle dans les colonnes de Bonne Nouvelle le professeur de théologie lausannois Daniel Marguerat. Sans une telle formulation, le christianisme se serait scindé en des courants bien plus différents que les différences actuelles ».

Car si le Nouveau Testament évoque bien un Dieu multiple, voire « trine ». à la fois , il ne clarifie pas les relations entre Père, Fils et Saint-Esprit. La réponse trouvée aux 3e et 4e siècles confine au génie : Dieu est Un en trois personnages.

Depuis lors, « la formule trinitaire fixe le christianisme parmi les trois monothéismes », estime Daniel Marguerat, regrettant qu’elle ne soit pas davantage explicite dans le texte choisi par l’EERV. Pas d’accord, répond le pasteur Bernard Reymond. Selon ce chrétien libéral, « on peut fort bien être chrétien sans adhérer à ce principe formulé bien après la rédaction des Ecritures. D'ailleurs, des pans entiers de la chrétienté n'y souscrivent pas. Et on ne va pas les exclure de la famille chrétienne pour cela ». Liberté de croire contre TraditionBernard Reymond rejoint donc son collègue Claude Schwab, qui s’est félicité dans un éditorial que « le Synode ait décidé de ne pas imposer à ses membres la manière et les mots pour dire ce que l’on croit ». Ces lignes ont fait bondir l’abbé Philippe Baud. Pour cet autre habitué des médias, la Trinité constitue au contraire « la base doctrinale minimale » pour une Eglise dite chrétienne.

Respect de la liberté de croire d’un côté, attachement à la Tradition et crainte d’un éclatement du christianisme de l’autre. En demandant au fidèle d’accepter « la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit », le Synode a botté en touche en adoptant « une formule qui fait penser à la Trinité, mais qui n’implique pas l’adhésion à une foi trinitaire », selon les termes de Daniel Marguerat.

Pour certains, cette timidité parlementaire s’explique par l’opposition de la frange la plus libérale de l’assemblée. D’aucuns y voient même la résurgence du courant unitarien (lire encadré), farouchement opposé à tout ce qui battrait en brèche l’unité divine. Référence qui fait plutôt sourire Bernard Reymond : « L’unitarisme n’existe pas sous nos latitudes en tant que tel. Par ailleurs, je suis d’accord de dire que Dieu est pluriel. Mais pourquoi serait-il trois plutôt que deux, cinq ou sept ? ». Se réclamant lui aussi volontiers du courant libéral, Thierry Laus connaît bien le dossier, puisqu’il a été membre de la seconde commission de rédaction de ces fameux principes constitutifs. Il applaudit lui aussi le choix synodal, « parce qu’il reflète la diversité de l’identité protestante tout en restant très biblique ».

En revanche, le jeune théologien lausannois relève que l’Abbé Baud met le doigt sur un vrai problème en se basant sur la base doctrinale du COE. « Notamment sous l’impulsion des orthodoxes, le COE a effectivement opté pour un recadrage très trinitaire dans lequel nombre d’individus et de courants réformés ne se reconnaissent plus ».

De manière générale, Thierry Laus estime la rigidité de ces querelles dogmatiques assez éloignée de la réalité du terrain, où les pasteurs – et les fidèles - doivent trouver leur propre chemin de foi entre le respect des identités symboliques et leur propre liberté. « Ils ont besoin de cette liberté, d’où le bon compromis adopté par l’EERV. Parce que la prédication et la cure d’âme ne se font pas avec des dogmes ! ».