A Busan, les Eglises-membres du COE se posent en contre-culture

A Busan, les Eglises-membres du COE se posent en contre-culture

«La mission doit venir de la marge», affirment les Eglises-membres du COE à Busan. La déclaration sur la mission va bien plus loin que les simples enjeux de l’évangélisation: elle est une critique en règle des dérives du capitalisme contemporain.


, Busan, Séoul

Avec la déclaration sur la mission «Ensemble vers la vie» («Together Towards Life»), les délégués affirment que «la mission doit venir de la marge». Derrière cette expression se cache un postulat théologique fort: les pauvres, les opprimés, les marginaux, sont d’après les évangiles les premiers destinataires de l’action de Jésus, et ceux qui sont le mieux placés pour témoigner de la force de libération de la Bonne Nouvelle.

«Le but de la mission n’est pas de faire venir vers le centre ceux qui se trouvent dans les marges», affirme le document, «mais de s’opposer à ceux qui en maintiennent d’autres dans les marges pour pouvoir eux-mêmes demeurer au centre. Au contraire, les églises sont appelées à transformer les structures de pouvoir.»

Remettre en cause les structures du pouvoir

Au fond, cette déclaration sur la mission va bien plus loin que les simples enjeux de l’évangélisation: elle est une critique en règle de notre monde contemporain, du capitalisme débridé responsable de criantes inégalités. «La politique d’une croissance sans limites grâce à la domination du marché mondial est une idéologie qui se prétend sans alternative, exigeant des sacrifices sans fin des plus pauvres et de la nature», déclarent les délégués dans le texte.

«Cette forteresse de cupidité menace toute la maison de Dieu. Le règne de Dieu s’oppose frontalement à l’empire de mammon.» Avec cette déclaration, les Eglises-membres du COE se posent donc en contre-culture qui remet fondamentalement en cause les structures de pouvoir et la soif de consommation des sociétés contemporaines, vues comme forces de destruction.

Les rédacteurs du document semblent d’ailleurs bien conscients que ce travail d’opposition commence dans les Eglises elles-mêmes: «la mission a été trop souvent complice de systèmes oppresseurs et mortifères», écrivent-ils.

Un pèlerinage de justice et de paix

Le même mouvement du centre vers les marges se fait sentir dans le programme proposé par le COE pour les sept années à venir jusqu’à la prochaine assemblée. Plutôt que de tracer de grandes orientations, le COE invite ses Eglises-membres à marcher ensemble dans un «pèlerinage de justice et de paix».

Ce choix part de plusieurs constats: tout d’abord, celui que le COE peine à trouver le juste équilibre entre organisation internationale et communauté d’Eglises, ce qui a des implications à plusieurs niveaux. «Il est probable qu’en tant qu’ “organisation”, nous continuerons à faire face à des ressources financières en diminution. En tant que “communauté”, cependant, nous avons un potentiel beaucoup plus important, et c’est une opportunité de repenser activement la manière dont nous pouvons interagir l’un avec l’autre au travers du COE».

Le COE voit aussi dans l’accent sur la communauté une manière d’impliquer plus ses Eglises-membres dans la conception des programmes au lieu de leur proposer quelque chose qui a été entièrement conçu dans les bureaux de Genève.

Une fragilité assumée

La figure du pèlerin est celle à laquelle le COE propose aux chrétiens de s’identifier, et ce n’est pas un hasard qu’elle soit une figure de vulnérabilité et de fragilité. «En tant que pèlerins nous cheminons ensemble, connaissant et protégeant nos vulnérabilités réciproques, s’offrant l’un à l’autre hospitalité et générosité, s’écoutant l’un l’autre, acceptant de prendre des risques en discernant ensemble dans quel nouveau territoire nous devons entrer.»

Le COE invite donc les Eglises-membres à cheminer ensemble dans trois grandes directions: l’unité et la mission, le témoignage public et la diaconie, et la formation œcuménique. Les priorités se discerneront en route, sur la base de la réflexion théologique et de la manière dont il est possible d’impliquer différents partenaires - une autre manière de faire travailler le centre au service de la marge.

Accueillir les mouvements charismatiques

De manière significative, le COE semble lui-même conscient de sa propre marginalité. Le modérateur sortant du Comité Central, le pasteur luthérien Walter Altmann, l’a rappelé dans son discours introductif lors de la première plénière de travail à Busan: le COE, à travers ses Eglises-membres, représente toujours moins de chrétiens à travers le monde.

Cette perte de représentativité n’est pas due, selon le pasteur Altmann, à un désengagement des Eglises-membres mais à un phénomène très simple: les deux courants qui connaissent la plus forte croissance actuellement dans le monde sont l’Eglise catholique romaine et les mouvements pentecôtistes. Or, ni l’Eglise catholique romaine, ni la majeure partie des courants pentecôtistes ne font partie du COE.

Mais les choses sont peut-être en train de changer: l’église Full Gospel de Séoul, la plus grosse megachurch pentecôtiste au monde avec ses 800 000 fidèles, est devenue membre du Conseil national des Eglises de Corée et, de ce fait, du COE. Même si cela ne fait visiblement pas l’unanimité au sein de la congrégation, car si l’équipe pastorale et une partie des fidèles ont assisté à l’assemblée, une autre partie des fidèles a rejoint les rangs des manifestants anti-COE.

Il n’en reste pas moins que le COE semble s’ouvrir de manière plus marquée aux mouvements charismatiques, dont certains paraissent prêts à rejoindre le mouvement œcuménique. Cette ouverture n’est peut-être pas le fruit du hasard, alors que ces Eglises sont souvent présentes auprès des plus pauvres, en particulier en Amérique Latine et en Afrique.

Agnes Abuom, première modératrice du Comité Central

Dernier signe, et non des moindres: le nouveau modérateur du Comité Central, poste le plus important après celui de secrétaire général, est pour la première fois attribué à une femme. Agnes Abuom, une anglicane originaire du Kenya, est de plus une laïque à un poste où sont souvent nommés des hommes, des Occidentaux et des ministres ordonnés. A Busan, le COE semble avoir nettement choisi de faire entendre une voix différente.