Les chrétiens ont tenté de jeter des ponts à Busan

Les chrétiens ont tenté de jeter des ponts à Busan

Quoi de commun entre l’expérience de Phumzile Mabizela, pasteure sud-africaine atteinte du sida qui a dû se battre pour recevoir un traitement, celle des délégués d’Océanie qui voient leur survie menacée par la montée des eaux due au réchauffement climatique, et celle des délégués d’Europe dont la préoccupation la plus urgente est celle des Eglises qui se vident? Pendant une dizaine de jours à Busan, le Conseil Œcuménique des Eglises (COE) et ses 5000 participants ont tenté de jeter des ponts entre ces différentes réalités.


, Busan, Séoul

Saris indiens, boubous africains, soutanes rouges des orthodoxes d’Orient, chemises mauves des évêques occidentaux, costumes traditionnels coréens: la diversité de l’Eglise était visible au premier coup d’œil. Elle était aussi audible dans la différence des prises de position et dans le contraste des situations quotidiennes dont les délégués se sont fait l’écho, notamment lors des plénières du matin à l’auditorium du Bexco.

La manifestation de l’universalité de l’Eglise, c’est aussi ce que Justin Welby, archevêque de Cantorbéry et primat de la communion anglicane, retenait de son passage à l’assemblée le vendredi 1er novembre: «Ce que j’espérais de ce rassemblement, je l’ai reçu, et c’est une vision plus large de l’Eglise à travers le monde; et je crois que pour ma première assemblée du COE, c’est déjà une chose précieuse avec laquelle je repartirai. L’Eglise de Dieu est un extraordinaire miracle.»

Protestants, orthodoxes, anglicans, catholiques-chrétiens et observateurs catholiques romains ont partagé pendant une semaine les mêmes travaux, les mêmes sessions, la même vie de prières. Dans une atmosphère de bienveillance, d’affection et de respect, ils ont passé ensemble des moments qui allaient au-delà du travail, se confiant l’un à l’autre des histoires de vie parfois joyeuses, parfois difficiles, se découvrant des parcours communs au-delà des différences.

Fraternité œcuménique

C’est cette expérience de la fraternité œcuménique qui semble faire l’admiration de la délégation catholique romaine. Leur Eglise n’est pas membre du COE mais y a un statut d’observateur permanent; les catholiques romains présents n’avaient donc pas droit de vote mais ont suivi les débats et la vie de l’assemblée avec beaucoup d’attention.

«C’était ma toute première assemblée», explique le prêtre catholique indien Induril Rodithuwakku Kankanamalage. «J’y ai fait l’expérience de l’universalité de l’Eglise, de la rencontre sincère de l’autre qui surmonte les préjugés; j’ai aussi pu voir quels sont les problèmes et les difficultés qui nous séparent encore de l’unité visible.»

Fausse note

Vendredi 8 novembre à Busan, dans l’après-midi, la 10ème assemblée s'est toutefois achevée sur une fausse note. Lors du culte d’envoi, alors que les participants sont rassemblés dans la prière d’intercession pour la justice et la paix, un manifestant anti-COE fait irruption sur le podium et tente de s’emparer du micro.

Aussitôt, des vigiles en costume noir se jettent sur lui, le plaquent au sol et le traînent dehors. La scène est aussi brève que violente, et le décalage entre les mots de la prière et l’altercation frappant. Les participants, choqués et désorientés, peinent à reprendre le fil du culte.

Cette discordance pose de manière criante la question du décalage entre l’idéal chrétien de paix et de fraternité défendu par le COE (qui, selon nos informations, n’était pas responsable de la sécurité) et la réalité de notre société contemporaine où priment l’obsession sécuritaire et les logiques de défiance.

Au cours des dix jours d’assemblée déjà, plusieurs participants avaient exprimé leur tristesse devant le traitement réservé aux manifestants, pour la plupart des dames d’un certain âge, campant toute la journée devant le Bexco (centre de conférences de Busan). Les jeunes stewards du COE avaient visiblement reçu pour consigne de ne pas laisser entrer. Pourtant, s’interrogeait un délégué, n’aurait-il pas été possible de les laisser simplement «venir et goûter comme le Seigneur est bon»?

«C’est un regrettable malentendu»

Les manifestations anti-COE étaient organisées par des Eglises évangéliques qui s’opposent au COE principalement à cause de sa position vis-à-vis des autres religions; le COE affirme en effet qu’il n’est pas possible de limiter l’action de l’Esprit Saint aux frontières des Eglises, ce que les opposants interprètent comme un insupportable relativisme.

«C’est un regrettable malentendu», a déclaré à ce sujet Olaf Fykse Tveit, le secrétaire général du COE, lors d’une conférence de presse. «Même les chrétiens les plus conservateurs admettent que l’Esprit souffle aussi en-dehors des Eglises, sinon il n’y aurait jamais de conversion au christianisme.»

Pour autant, le dernier quart d’heure de cette assemblée ne doit pas faire oublier ce qui s’y est vécu durant la semaine et demie précédente et qui a tout d’abord été une belle expérience de fraternité. Les applaudissements prolongés et chaleureux lors des plénières, la communion sensible lors des temps de prière, ont témoigné d’un lien sous-jacent bien plus fort que ces différences. Toute la question est désormais de savoir comment cette expérience de communion pourra être prolongée, une fois que les 5000 participants auront regagné leurs foyers, pendant les sept années à venir.

  • A écouter en podcast sur RTS, Espace 2, dans l'émission quotidienne A vue d'Esprit: Le COE, utopie œcuménique. Elle a été diffusée du 4 au 8 novembre.