Covid-19: La double peine des détenus

Covid-19: La double peine des détenus

En Suisse romande, pour éviter l’entrée du coronavirus dans les prisons, les visites aux détenus sont limitées, et parfois même suspendues. Les aumôniers en font aussi les frais. Tour d’horizon.

C’est désormais uniquement derrière la vitre du parloir que les détenus peuvent recevoir des visites de l’extérieur. Une nouvelle norme qui prévaut dans les établissements pénitentiaires de Suisse romande. Mais face à la pandémie, chaque prison a ses mesures et les séparations en plexiglas ne sont pas légion. Pour les détenus les moins chanceux, le courrier et le téléphone restent les seuls moyens de communication avec le monde extérieur. Aux visites limitées et adaptées s’ajoute un quotidien tributaire du respect des normes sanitaires: la promenade se fait à distance et les sports de balles sont suspendus. La santé des détenus prime. On profite alors des mesures compensatoires. Selon les établissements, l’accès aux timbres et aux enveloppes est facilité, les communications téléphoniques augmentées, parfois même la possibilité d’un appel vidéo est mise sur pied.

Les aumôniers de prison n’échappent pas aux nouvelles règles. Les visites en cellule et l’accès à l’intérieur du milieu carcéral sont gelés jusqu’à nouvel ordre. La présence, l’écoute et l’accompagnement spirituel qu’ils proposent se fait au mieux à travers le plexi. Mais le plus souvent, l’échange n’est plus qu’épistolaire.

Des visites limitées

«Excepté les parloirs vitrés des centres de détention préventive de Sion et de Brig, nous n’avons plus accès aux autres établissements pénitentiaires et donc plus de nouvelles des détenus que nous accompagnions», explique Mario Giacomino, aumônier de prison et diacre de l’Église réformée évangélique du canton du Valais. «Avant, nous prenions le repas du soir avec les détenus de Crêtelongue à Granges, ça permettait de tisser des liens. Mais nous n’y avons plus accès», ajoute le diacre.

Dans le canton de Neuchâtel, seuls des entretiens exceptionnels sont autorisés. «Il y a quelques jours, mon collègue catholique est allé annoncer le décès de sa mère à l’un des détenus», illustre Thomas Isler, aumônier et diacre de l’Église réformée évangélique neuchâteloise. Dans le canton de Vaud, les visites des aumôniers sont suspendues. Et à Genève, les aumôniers ont fait le choix de ne plus se rendre sur place depuis cinq semaines, afin d’éviter de faire entrer le virus. Les détenus des cantons du Jura et de Fribourg peuvent encore voir les aumôniers derrière la vitre et en respectant les mesures sanitaires de rigueur.

Une écoute par correspondance

Pour maintenir malgré tout le lien avec les détenus, le courrier est devenu le palliatif. Un moyen de communication déjà utilisé en temps normal. «À tout moment, les détenus peuvent nous écrire directement. Un courrier interne qui n’est pas soumis au contrôle, contrairement au courrier extérieur», explique Michel Schadt, aumônier et pasteur de l’Église évangélique réformée vaudoise. Un mode de communication qui demande de la patience et qui dévoile de nouvelles dimensions: «Ce qu’on écrit, on ne le dit pas. Il y a ce qu’on y révèle ou pas, la direction qu’on donne à l’échange, les réflexions abordées ou suscitées. Dans une lettre, les choix sont raisonnés. Il n’y a ni les émotions ni la réactivité d’un échange direct. Mais on découvre d’autres choses, telles que les expressions et tournures utilisées, les fautes faites. C’est aussi un effort pour nous aumôniers. Cet échange complète mais ne remplace pas la relation en direct», explique le pasteur vaudois.

Le courrier est aussi l’option prise à Genève. Une lettre a été adressée à tous les détenus accompagnés avant le confinement pour les prévenir du changement. «Ce qui est difficile en prison, c’est d’être coupé de la communauté humaine. En période de confinement, les détenus le sont encore plus, car ils ne bénéficient pas des moyens de communication que nous privilégions actuellement. Dans ces lieux de fragilité et de confinement, savoir que l’on n’est pas abandonné fait du bien», commente Christine Lany Thalmeyr, aumônière catholique à Genève. Le service d’aumônerie œcuménique offre également une célébration vidéo hebdomadaire diffusée sur le canal de télévision interne de la prison de Champ-Dollon et dont profitent aussi les détenus des établissements fermés de La Brenaz et de Curabilis.

Dans le canton de Vaud, les aumôniers proposent, eux aussi, chaque semaine une méditation diffusée sur le canal des Établissements pénitentiaires de la Plaine d’Orbe. À Neuchâtel, les aumôniers ont opté pour le papier, la méditation est donc affichée dans la prison. «La présence des aumôniers dans l’espace cellulaire est essentiel. Aussi, la vidéo sert avant tout un objectif relationnel plus que cognitif. Car il y a le besoin d’un visuel», ajoute Michel Schadt.

Derrière ces alternatives, la situation reste préoccupante pour plusieurs de ces aumôniers qui ne peuvent répondre que par l’affirmative à la question du double confinement des détenus. Tous parlent de l’importance de la visite et de l’échange en direct. «La parole est libératrice, elle est thérapeutique», explique Christiane Kolzer, aumônière de prison et membre de l’Église évangélique réformée du Jura. «Sans compter que tout prend des proportions énormes en détention», relève Thomas Isler. L’aumônier sert de soupape, les échanges favorisent la prise de recul. Mais aujourd’hui, face aux images diffusées par les médias, l’imaginaire s’envole. «L’écoute que nous proposons permet de diminuer les tensions», explique Mario Giacomino.

Le souci des proches

Par delà le plexiglas et dans les lettres, les détenus évoquent souvent la pandémie et l’inquiétude quant à la santé de leurs proches, mais aussi leur quotidien et les sujets qui les préoccupaient déjà avant le Covid-19. «Le changement principal est que nous avons beaucoup moins d’entretiens qu’avant», observe Christiane Kolzer. En temps normal, l’aumônière a accès à l’intérieur du milieu carcéral et notamment aux cellules et aux espaces communs. Aujourd'hui, les entretiens au parloir sont à la demande. Elle voit deux raisons à cette baisse: «Il y a une angoisse quant à la propagation du virus. De plus, bon nombre de détenus ignorent le rôle réel de l’aumônier. Ils pensent que nous parlons avant tout de religion. En temps "normal" et lors de nos premiers contacts à l’intérieur de la prison, nous pouvons préciser que nous sommes là pour les écouter, que l’accompagnement que nous proposons est relationnel et spirituel au sens large. Actuellement, dans ce contexte particulier, nous ne pouvons plus le faire.»

Avec les nouvelles mesures sanitaires, plusieurs interrogations émergent: qu’en est-il des détenus qui auraient apprécié un premier contact informel avec l’aumônier, de ceux qui ne demandent pas de parloirs, ou encore des personnes qui ne se sentent pas à l’aise avec une plume entre les doigts? Pour Christine Lany Thalmeyr, «c’est la limite. Aujourd’hui, c’est un courrier ou rien. Nous sommes en train de voir si des parloirs téléphoniques ou vidéo pourraient peut-être être mis en place, mais c’est encore flou. Ma crainte porte sur les personnes avec qui nous n’avons plus de contact. Le sentiment d’impuissance que nous avons déjà en venant les visiter en temps normal s’accentue. Car les détenus qui ne vont pas bien cessent souvent de communiquer».