Comment pleurer ceux qui ne sont même pas nés?

Comment pleurer ceux qui ne sont même pas nés?

Face à la mort ou à l’absence d’enfant, un groupe d’accompagnement spirituel voit le jour le 4 octobre. Un projet non confessionnel porté par quatre femmes de l’Église réformée vaudoise.

«Une nuit, j’ai senti que quelque chose n’allait pas. J’ai rêvé que mon enfant était mort. Le lendemain, à l’échographie, on m’a annoncé que son cœur avait cessé de battre. Il a fallu provoquer l’accouchement. Il était 22h. La sage-femme m’a alors prévenue que j’en aurai pour toute la nuit. Mais en quinze minutes, c’était fait. On m’a proposé de voir l’enfant. J’ai dit oui. J’étais à 4,5 mois de grossesse, j’avais porté la vie et, pendant quelques heures, la mort.»

Sylviane Badoux reste trois jours à l’hôpital pour récupérer avant de rentrer chez elle, retrouver son mari et ses deux filles. Elle vit alors sa troisième fausse-couche. Au total, elle en fera quatre: dont deux avant les trois mois de grossesse et la quatrième à cinq mois et demi. Une épreuve physique et psychologique pour cette femme qui s’est toujours rêvé mère de quatre enfants, un projet de vie qu’elle accomplira. «Aujourd’hui, j’ai géré et digéré cette souffrance, je suis consolée.» Une histoire singulière qui reste une réalité pour bon nombre de femmes. Grossesse et maternité ne sont pas toujours synonymes d’heureux événements.

Des histoires tristement banales

Fausse couche, intervention volontaire et médicale de grossesse, décès du bébé dans les premières semaines de vie ou stérilité, face à la souffrance provoquée par les naissances qui n’ont pas lieu, quatre femmes engagées dans l’Église évangélique réformée vaudoise (EERV) lancent le 4 octobre «Des étoiles dans le cœur», un accompagnement spirituel et non confessionnel, pour toutes personnes confrontées à la mort ou à l’absence d’enfant. À la tête du projet, deux diacres, une pasteure et Sylviane Badoux, laïque, toutes passées par l’une ou l’autre de ces situations.

En Suisse romande, le deuil périnatal est une réalité reconnue et investie. Accompagnements thérapeutiques ou médicaux, associations, il y a de quoi faire. Pourtant, en proposant un accompagnement spirituel, le projet «Des étoiles dans le cœur», soutenu par l’Église vaudoise, innove. «Ces expériences remettent en question certains de nos fondamentaux et posent des questions de sens. Lorsque j’ai appris que je ne pouvais pas avoir d’enfant, l’estime que j’avais de moi-même en a pris un coup. Si je n’étais pas capable de mettre au monde un enfant, de quoi étais-je alors capable?» livre Liliane Rudaz, diacre de l’EERV.

Des Églises démunies

«Il est essentiel que le personnel des Églises, les ministres, tant protestants que catholiques, soient sensibilisés à ces questions universelles», explique Élise Cairus, théologienne genevoise. Et d’ajouter: «Un accompagnement psychologique ne suffit pas toujours, parfois les personnes ont besoin de plus, car ces expériences bousculent leur parcours spirituel, et de foi. Il y a la nécessité de se réconcilier avec soi-même et pour certains avec un Dieu qu’ils ne comprennent plus.» En 2019, elle publie sa thèse sur l’accompagnement spirituel des grossesses chaotiques. Lors de ses recherches, elle constate notamment que la théologie ne s’est jamais emparée de cette thématique et que les ministres sont démunis. «Les Églises accompagnent toutes les étapes de la vie, alors pourquoi pas les naissances et les grossesses, qui sont aussi des passages.»

Aujourd’hui, la question reste marginale au sein des Églises, notamment «parce qu’il faut faire avec l’héritage patriarcal de l’Église et une culpabilité ancrée dans l’inconscient collectif s’agissant de ce sujet, sans compter que le deuil périnatal ne fait pas partie des sujets "en vogue" dans la société actuelle», note Élise Cairus. Autant de raisons qui ont poussé la théologienne à donner plusieurs formations sur l’accompagnement spirituel des grossesses et naissances difficiles. Pour les Vaudoises qui l’ont suivi, c’est le déclic, elles concrétisent alors leur projet: offrir un espace qui donne droit à la douleur et à l’expression de la souffrance. 

Des prestations à la carte

Dès le 4 octobre, le quatuor féminin sera donc non seulement devant le clavier pour relever l’adresse mail mise à disposition et y répondre sous 24 heures, mais également au bout du fil. «Notre ligne téléphonique permettra de répondre aux urgences, qu’il s’agisse d’offrir une écoute et une présence lors de la prise de décision, ou pour répondre à des questions très pratiques, par exemple s’agissant de l’inscription de l’enfant mort-né au registre de l’état civil. Nous ne sommes pas là pour influencer, mais plutôt pour permettre la prise de distance face à la situation vécue», explique Liliane Rudaz, qui précise que le groupe travaillera en réseau, notamment avec des associations et l’aumônerie du Chuv. En parallèle, un accompagnement du deuil est proposé, avec notamment la mise en place de groupes de parole. «Il est important de pouvoir partager sa propre expérience, mais aussi, pour de nombreux parents, d’avoir un geste symbolique qui rende visible et tangible ce qui s’est passé et cet enfant», ajoute Sylviane Badoux.

«La différence avec un deuil classique réside dans le fait que la naissance n’a pas eu lieu. Il y a donc peu d’éléments auxquels se raccrocher. Il est alors essentiel de pouvoir donner une place à cet événement», explique Liliane Rudaz. En cela, la diacre estime que l’Église peut être créative et proposer au couple et à la famille des moments particuliers sur mesure pour traverser et surmonter ce deuil.

«Il y a une grande solitude. Il est souvent difficile d’en parler, surtout si les trois premiers mois de grossesse ne sont pas passés, et que donc la grossesse n’était pas encore annoncée, de faire comprendre sa souffrance et parfois de trouver de la compassion en retour», observe Sylviane Badoux. Le sujet devient alors tabou chez certaines femmes. «Depuis que nous parlons de notre projet, des femmes, souvent âgées, nous approchent, et partagent avec émotion leur expérience pour la première fois», observe Liliane Rudaz. Un constat partagé par Élise Cairus, qui insiste: «Il faut en parler le plus tôt possible pour en faire quelque chose et ne pas attendre d’être sur son lit de mort.»