L'itinéraire tortueux d'un heureux converti

L'itinéraire tortueux d'un heureux converti

Il a fait de son odyssée spirituelle un spectacle qui cartonne à Paris. Dans Coming out, le comédien français Mehdi Djaadi, passé par la Manufacture de Lausanne, raconte son parcours et sa conversion au christianisme, de la délinquance au ravissement.

Revoir la Suisse, Mehdi Djaadi s’en réjouit. Son retour chez nous, au Centre culturel des Terreaux à Lausanne, est d’ailleurs prévu pour le premier trimestre 2023. Depuis Paris où il triomphe dans son «seul en scène», le jeune comédien français, originaire de Saint-Etienne, se rappelle avec émotion de sa formation théâtrale à la Haute école de théâtre de Suisse romande, la «Manufacture». «Mon histoire avec Lausanne et la Suisse, c’est comme une histoire d’amour qui s’est mal finie. J’aimerais me réconcilier», avoue-t-il, au téléphone, d’une voix dont le calme semble témoigner d’un apaisement enfin trouvé. 

L’apaisement, Mehdi Djaadi l’a atteint grâce à la religion catholique. Ou plutôt grâce à Dieu et au Christ, lui qui dit «avoir eu pour le théâtre le même coup de foudre qu’il a ressenti pour Jésus». Frédéric Plazy, actuel directeur de la Manufacture, se remémore un jeune homme en recherche sur bien des plans: «Mehdi devait concilier sa formation et son désir de carrière en solo avec sa réalisation en tant qu’artiste et la détermination de son identité spirituelle. Il y a eu des hauts et des bas.»

Plein de remords au bout du fil, Mehdi Djaadi se souvient d’ailleurs de cette fois où, à la fin de son cursus, il plante ses camarades pour la première d’un spectacle, ne revenant pas à temps d’un casting parisien. Une audition pour un rôle de cinéma... «Ça a été le point d’orgue. J’ai dû quitter la Suisse un peu malgré moi», regrette celui qui, avec ce faux bond, est obligé de se rendre à l’évidence: à Lausanne, il n’est plus en odeur de sainteté.  

Jésus pour lui

«J’ai n’ai finalement jamais été doué que pour une seule matière. La seule qui m’ait jamais fasciné, c’est l’être humain, que je n’ai pas cessé d’observer», raconte un Mehdi Djaadi qui, mal influencé, quitte l’école à 14 ans. Car, fils d’une nourrice et d’un ouvrier algériens, qui lui «offrent tout malgré leurs modestes moyens», Mehdi Djaadi, encore adolescent, se fond trop vite dans une bande de petites frappes. Bientôt tenté par le petit puis le grand banditisme, il pratique deal et arnaques bancaires, en usurpant des identités. «Ma mère avait pourtant souhaité me protéger. Elle m’avait inscrit dans une école privée et me déposait à la bibliothèque, les mercredis, afin que je ne fasse pas de mauvaises rencontres.» Il y développe son goût pour la littérature et les voyages dans l’imaginaire des auteurs. 

Le point de bascule est proche. À l’époque, Mehdi Djaadi est un «bon musulman qui fait ses prières» et fréquente l’école coranique. Il voit d’ailleurs d’un mauvais œil l’arrivée de salafistes à la mosquée, «eux qui offrent un cadre strict à ceux qui en manquaient». Mehdi Djaadi est alors en rupture de ban et se balade avec un ami lorsque sa route croise celle d’une église évangélique. «On voulait aller maltraiter le pasteur, le bousculer un peu. À la place, je rencontre un homme qui veut simplement me dire qui est Jésus pour lui et qui il pourrait être pour moi.»

La Bible en cachette

C’est cette rencontre avec autre Dieu, que Mehdi Djaadi raconte actuellement dans Coming out, sur les planches du Théâtre Montmartre Galabru, et qu’il jouera deux soirs à Lausanne début 2023. Dans ce spectacle qui semble ne laisser personne indemne, il raconte notamment cette petite Bible que lui offre le pasteur évangélique, et qu’il compulse en cachette de ses parents. Il dit aussi son départ pour le Conservatoire de Valence, dans la Drôme, où sa formation de comédien commence, lui qu’on a poussé à se lancer car il imite si bien les autres et connaît par cœur les spectacles de Gad Elmaleh ou Jamel Debbouzze. 

«Je me dis que c’est incroyable, cet homme qui donne sa vie pour les autres. Le message chrétien d’amour a été un peu galvaudé, alors que je vois chez le Christ une grande exigence. Pas simple, d’aimer son ennemi comme soi-même», s’émerveille Mehdi Djaadi, qui s’est d’abord converti au protestantisme avant d’opérer un virage catholique pendant son séjour lausannois. «Un ami me propose une retraite à l’Abbaye de Sept-Fons (FR) pendant un temps de congé. Dans un esprit d’ouverture, j’accepte. Je vis alors une expérience mystique très forte, où je goûte à la présence du Christ dans l’eucharistie.»

Une impro de messe en latin

Hasard biographique, c’est ce même Mehdi Djaadi, après avoir fait un an de catéchuménat à Notre-Dame du Valentin à Lausanne, qui joue, pour son premier grand rôle au cinéma, un jeune français musulman ultra pratiquant. Le film? Je suis à vous tout de suite avec Ramzy Bedia, Agnès Jaoui et Camélia Jordana. Un clin d’œil à cet «anti-déterminisme» qu’il veut proclamer dans son spectacle, où «faire la promotion de cette liberté très française de choisir sa religion, sa sexualité… sa vie, en somme.»

Pour co-écrire ce «seul en scène», c’est au Romand Thibaut Evrard que Mehdi Djaadi fait appel. Un ex-«pote de couloir» de la Manufacture, bientôt à l’affiche de la série RTS Sacha de Léa Fazer. «Quand, dans une improvisation de travail, il s’est mis à réciter une messe en latin, je me suis dit qu’il y avait vraiment quelque chose à faire», s’amuse un Thibaut Evrard qui signe aussi la mise en scène de Coming out

Passé par le «Off» du festival d’Avignon, ce Coming out, fomenté par un catholique et un athée, est pour Mehdi Djaadi la promesse de rencontres interculturelles et interconfessionnelles au sein de son public:  «À Avignon, je me souviens d’avoir vu, assis côte à côte, un frère de Saint-Jean en habit, une fille aux cheveux bleus et une femme voilée», s’emballe le comédien, qui ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pour ses parents, à qui la conversion de leur fils a fait du mal à l’époque. «Je ne regrette pas le geste artistique de ce spectacle. Mais je suis triste d’avoir blessé ma famille et m’évertue à leur demander pardon, concrètement ou dans mes prières.»
 

Bio express

1986 Naissance à Saint-Etienne.

2007 Intègre le Conservatoire d’art dramatique de Valence (Drôme).

2010 Est admis à la Haute école de théâtre de Suisse romande (La «Manufacture»), dont il sort diplômé trois ans plus tard. 

2012 Vit une expérience mystique dans un monastère. Devient catholique. 

2015 Première apparition au cinéma, dans Comme un avion, de Bruno Podalydès.

2016 Fait partie des révélations des Césars pour son rôle dans Je suis à vous tout de suite.

2020 Présente Coming out au Théâtre Montmartre-Galabru, où il raconte son parcours d’apprenti-comédien et sa conversion au christianisme.

2023 Sera présent à Lausanne pour présenter son seul en scène, au Centre culturel des Terreaux.