Pour poser avec la Bible, Trump fait évacuer le parvis de Saint-John

Pour poser avec la Bible, Trump fait évacuer le parvis de Saint-John

La mise en scène de Donald Trump devant l’église Saint-John à Washington crée la colère du clergé. Pour cause, les responsables religieux se sont fait évacuer des lieux manu militari, alors qu’ils étaient venus soutenir les manifestants.

Les images ont fait le tour du monde. Lundi 1er juin, en début de soirée, le président américain Donald Trump brandit stoïquement et silencieusement une Bible devant les caméras. Il se tient devant l’emblématique église épiscopale Saint-John, dans le centre de Washington, endommagée la veille par un incendie déclenché en marge des manifestations qui font suite à la mort de George Floyd le 25 mai dernier à Minneapolis.

L'église qui semblait vide l’était vraiment, mais pas par choix. Moins d'une heure avant l'arrivée de Donald Trump, les forces de l’ordre ont usé de gaz lacrymogènes pour évacuer des centaines de manifestants pacifiques du parc de Lafayette Square, en face de l'église. Les autorités ont également expulsé au moins un prêtre épiscopal et un séminariste de la cour de l'église. «Ils ont transformé une terre sainte en un champ de bataille», déclare la révérende Gini Gerbasi rectrice de l’église épiscopale Saint-John de la ville voisine de Georgetown.

L’Église avec les manifestants

Plus tôt dans la journée de lundi, Gini Gerbasi est arrivée sur place avec une vingtaine de membres du clergé et plusieurs laïcs. À l’initiative du diocèse épiscopal de Washington, le groupe est venu servir de «présence pacifique en soutien aux manifestants». Ils ont offert de l'eau, des collations et du désinfectant pour les mains aux manifestants rassemblés dans le parc Lafayette de l'autre côté de la rue – qui fait face à la Maison-Blanche – pour dénoncer le racisme et la brutalité policière après la mort de George Floyd.

Mais peu après 18h, alors que des volontaires étaient en train de rassembler des provisions, Gini Gerbasi affirme que la police a soudainement commencé à expulser les manifestants du parc, avant le couvre-feu de 19h décrété le jour même pour les habitants de Washington. «J’ai soudainement commencé à tousser à cause des gaz lacrymogènes, explique-t-elle. Nous avons entendu ces explosions et les gens se jetaient à terre parce qu’ils n’étaient pas sûrs de ce que c'était.» La révérende Glenna J. Huber, rectrice de l'église de l'Épiphanie, dans le centre-ville de Washington, était aussi présente à Saint-John. Elle a quitté les lieux alors que la Garde nationale arrivait. Elle raconte avoir vu la police se précipiter dans la zone qu'elle venait de fuir. Inquiète, elle a alors envoyé un mail aux membres du clergé de l'église, les exhortant à la prudence.

À Saint-John, Gini Gerbasi précise qu'elle était vêtue d'un habit de clerc et qu'elle se tenait sur le terrain de l'église alors que la police s'approchait. «Je suis là, avec mon petit pull rose sous mon col, mes cheveux gris attachés en queue de cheval, mes lunettes de lecture. Ma séminariste, qui était avec moi, a reçu du gaz lacrymogène dans les yeux», explique-t-elle. Selon la révérende, pendant que la séminariste et elle-même regardaient la scène, la police a commencé à expulser les gens du de la cour de l'église: «les policiers en tenue anti-émeute, avec leurs boucliers noirs et tout le reste, avançaient vers le Saint-John Lafayette Square», décrit-elle, ajoutant que les gens autour d'elle ont commencé à crier de douleur, affirmant qu'ils avaient été touchés par des projectiles.

La révérende et d'autres personnes ont fini par s'enfuir, laissant derrière eux des fournitures médicales d'urgence. Lorsqu'elle a atteint la rue K, à plusieurs pâtés de maisons, et qu'elle a vérifié les informations sur son téléphone, Donald Trump était déjà devant l'église, une Bible à la main. «C'était pour ça: pour dégager la cour afin que l'homme puisse se tenir devant ce bâtiment avec une Bible», réagit-elle.

La colère du clergé

La Maison-Blanche n'a pas immédiatement répondu à une demande de commentaires. Les collaborateurs du président auraient déclaré à un journaliste de Bloomberg News qu’il avait été prévu d'étendre le périmètre autour de la Maison-Blanche lundi après-midi, indépendamment de la visite de Donald Trump à l'église Saint-John, bien que ces plans ne semblent pas avoir été communiqués au clergé travaillant devant l'église. Sur son compte officiel, la Maison-Blanche a tweeté lundi soir une vidéo célébrant la visite du président à l'église, avec des images de Donald Trump qui marchait vers Saint-John sur une musique dramatique.

Les responsables de l'Église n'ont pas tardé à condamner l'incident. La révérende Mariann Budde, évêque de Washington qui a aidé à organiser la présence à l'église pendant les manifestations, déclare que l'arrivée de Donald Trump à Saint-John s'est produite sans avertissement et l'a laissée «indignée». «J'ai été horrifiée par le symbolisme de ce personnage qui tient une Bible ... comme un accessoire et qui se tient devant notre église comme une toile de fond alors que tout ce qu'il a dit est contraire aux enseignements de nos traditions et à ce que nous défendons en tant qu'Église», a-t-elle affirmé à l’agence de presse Religion News service. «Il n'est pas venu pour prier. Il n'est pas venu pour déplorer la mort de George Floyd. Il n'est pas venu pour aborder les profondes blessures qui s'expriment par des milliers et des milliers de personnes qui protestent pacifiquement. Il n'a pas essayé d'apporter le calme dans des situations qui explosent de douleur».

Le révérend Michael Curry, évêque président de l'Église épiscopale, a également critiqué cette décision, accusant le président d'utiliser «un bâtiment de l'Église et la Sainte Bible à des fins politiques partisanes». Et d’ajouter que «cela a été fait à un moment où notre pays est profondément blessé et dans la douleur. Son action n'a rien fait pour nous aider ou nous guérir. Nous avons besoin que notre président, et tous ceux qui sont en fonction, soient des leaders moraux qui nous aident à être un peuple et une nation vivant ses valeurs: pour le bien de George Floyd, pour tous ceux qui ont souffert à tort, et pour notre bien à tous, nous avons besoin de dirigeants qui nous aident à être "une seule nation, sous Dieu, avec la liberté et la justice pour tous"».

À la question de savoir ce qu'elle dirait à Donald Trump si on lui en donnait l'occasion, Gini Gerbasi a répondu: «Vous devriez vivre votre vie selon les mots de ce Livre, et non pas en faire une séance photos». La révérende a ensuite publié son expérience sur Facebook, concluant son post avec une affirmation aux allures de défiance: «Je suis maintenant une force avec laquelle il faut compter».

Une église historique

L’église Saint-John est intimement liée à l’histoire de la présidence des États-Unis. Chaque président en exercice y a mis au moins une fois les pieds, depuis sa fondation en 1816, ce qui lui a valu le surnom d' «église des présidents». Le révérend Luis Leon, ancien recteur de l'église, y a prié lors de la deuxième investiture de Barack Obama. C’est aussi à Saint-John qu’a été organisé un service le matin de l'investiture de Donald Trump. L'Église Saint-John, comme de nombreuses congrégations épiscopales, est connue pour son penchant libéral. Elle a engagé des membres du clergé LGBTQ et a plaidé en faveur du mariage homosexuel. L'Église épiscopale, à laquelle Saint-John est rattachée, a critiqué Donald Trump. Le révérend Michael Curry a participé à une manifestation en 2018 près de la Maison-Blanche, au cours de laquelle lui et d'autres membres du clergé de tendance libérale ont dénoncé le slogan de la campagne de Trump «America First» («Les États-Unis d’abord») comme «une hérésie théologique».

L’église Saint-John a également été endommagée lors des manifestations du week-end dernier, lorsqu'elle a été défigurée par des graffitis et a subi un petit incendie dans son sous-sol qui a été rapidement éteint.