«En politique, je fais partie des Verts avant d'être musulmane»

«En politique, je fais partie des Verts avant d'être musulmane»

En 2010, Lucia Dahlab était à Genève la première musulmane voilée à entrer chez Les Verts

Née dans la Genève internationale, avec des parents qui l’ont baptisée catholique et élevée dans la tolérance et le respect de l’autre, cette mère de famille et enseignante de 50 ans s’est convertie à l’islam en 1990. Comment concilie-t-elle appartenance religieuse et engagement politique? Interview.

Qu’est-ce qui prime pour vous, votre appartenance religieuse ou partisane?

En politique, c'est clairement l'appartenance à mon parti qui est centrale. Et je m’étonne lorsque j’entends aux informations «Va-t-on élire un musulman?», à propos de Sadiq Khan, l’élu d’origine pakistanais à la mairie de Londres. Pourquoi ne dit-on pas d’abord qu’il est représentant du parti travailliste? C’est lorsque nous ne mettrons plus en avant, comme c’est encore souvent le cas aujourd’hui, le genre féminin, certaines religions ou la couleur de la peau, que l’on pourra parler d'une vraie normalisation, sans instrumentalisation de ce genre d’aspects au détriment de l’appartenance politique.

La religion relève de la sphère privée. Pourquoi avoir choisi de porter le voile?

Je porte le voile depuis 1991. C’est un choix lié à des convictions personnelles qui trouvent écho dans ma pratique religieuse. Le voile me permet de me réapproprier mon corps et ma féminité. J’y trouve un équilibre qui m’apaise. Mais c’est vrai, cela n’est pas allé sans problèmes. Pour certains Verts, une femme voilée est perçue comme une femme soumise et cette image se heurte au principe de l’égalité entre hommes et femmes, qu’ils défendent et pour lequel je m’engage aussi à leurs côtés.

Ce problème est-il désormais résolu?

En partie, mais il ressurgit lors de chaque élection, car c’est à ce moment que l’image du parti est mise en avant, et une femme voilée n’est pas toujours vue d’un bon œil. Cela dit, à Vernier, ma commune, comme ailleurs, beaucoup d’autres membres des Verts m’ont soutenue et ont pris, depuis, le relais, en déclarant que ce n’était plus à moi d’aller au front…

Quel a été le déclic de la politique?

La campagne anti-minarets de l’UDC, en 2009, pour laquelle je me suis engagée. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré le Vert Antonio Hodgers, et il m’a convaincue de me lancer: «Tu as une vision de la société, tu as des idées, ce serait intéressant», m’a-t-il dit.

En quoi votre vision du monde est-elle proche de celle des Verts?

J’ai toujours voté pour les Verts. Et même si je fais clairement la distinction entre ce qui relève de ma foi et la vision de la société que je défends, c’est dans mon engagement écologique que ma foi est la plus présente.

Quel rôle joue cette vision dans votre prise de décision politique?

Dans le cas du diagnostic préimplantatoire, par exemple, ma conception de l’islam, mais aussi de l'écologie fait que j’accepte les êtres humains tels qu’ils sont, incluant toutes leurs imperfections. Je suis donc a priori contre cette initiative. Mais de longs débats m’ont fait réfléchir sur certains points et je me suis abstenue lors de la dernière assemblée générale des Verts. Le cas des OGM est en revanche beaucoup plus clair pour moi: c’est non. Non aussi pour le brevet sur les vivants, car selon ma conception de l’islam et de l'écologie, l’homme n’est pas là pour dominer la nature, mais la protéger. En tant que dépositaire de cette planète, il en est responsable vis-à-vis des générations futures et n’a donc pas tous les pouvoirs.

C’est donc un choix lié à la cohérence entre vos deux systèmes de valeurs?

Oui, car c’est selon moi le parti qui a le plus cette vision globale du monde, et sur le long terme. C’est aussi celui qui est le plus ouvert à la diversité, un aspect central pour lequel je me suis toujours beaucoup engagée. C’est véritablement un parti qui m’habite.

L’éthique protestante du travail fonde pour certains réformés leur refus du revenu de base inconditionnel (RBI), soumis au vote le 5 juin. Quelle est votre position?

Je trouve au contraire l'idée du RBI très bonne, mais un aspect manque à la proposition, celui de l'échange. Il est bien de recevoir, mais aussi de donner. J'aurais inscrit une contribution obligatoire au fonctionnement de la société, avec par exemple des heures de travaux d'intérêt général obligatoires. Cela me semblerait plus coopératif.

De 2014 à 2015, vous avez siégé au conseil municipal de Vernier sous la bannière des Verts, pourquoi avoir renoncé à un nouveau mandat?

Même si je reste active chez les Verts, je n'ai pas pu participer à la campagne pour des raisons familiales. Cela montre clairement les limites de l’engagement des femmes en politique, au-delà des questions d’appartenance à telle ou telle communauté religieuse.

C’est-à-dire?

La fameuse quadrature du cercle de la conciliation entre vie professionnelle, vie de famille et engagement dans la société ou en politique. J’estime quant à moi avoir fait ma part et je me concentre désormais sur mon engagement dans l’enseignement, car ce rôle de transmission est pour moi central: quelle société prépare-t-on pour continuer à lutter contre les inégalités sociales et l’exclusion? Voilà ma préoccupation actuelle.

En tant que musulmane engagée en politique, vous restez donc une exception…

Oui, hélas, car la communauté musulmane, dans sa majorité, ne s’intéresse pas à la politique. Cela s’explique, car seul un tiers environ des musulmans a le droit de vote en Suisse.

Etes-vous pessimiste sur l’engagement des musulmans en politique?

Non, au contraire. Je fonde beaucoup d’espoirs sur la nouvelle génération de musulmanes et de musulmans, qui ont aujourd’hui entre 20 et 30 ans. Ils sont plus décomplexés, ils ont côtoyé des jeunes non-musulmans qui ont l’habitude de les fréquenter sans préjugés. Ils n’ont donc pas souffert de la même discrimination que leurs aînés. Certes, cela prendra encore un peu de temps, mais je les encourage à se lancer, même si j’aimerais voir davantage de femmes s’engager.