Le singulier rapport de Wagner à la religion

Le singulier rapport de Wagner à la religion

(epd - ProtestInter) Toute sa vie, Richard Wagner a travaillé sans relâche sur le christianisme. Certains estiment même que le compositeur, enclin à la folie des grandeurs, voulait jeter les bases d’une véritable religion de l’art.


«Le pêcheur d’âmes», titrait récemment un hebdomadaire à propos de Richard Wagner. Deux siècles après sa naissance le 22 mai 1813, les esprits sont toujours divisés à propos du célèbre compositeur et de son étrange conception de l’art et de la religion.

Friedrich Nietzsche s’était attaqué avec hargne à la vénération quasi religieuse dont Wagner faisait l’objet déjà de son vivant: «Si Wagner a pu devenir un rédempteur, qui nous délivrera de cette rédemption? Qui nous délivrera de ce rédempteur?»

Même aujourd’hui, ceux qui veulent comprendre le compositeur s’engagent sur un terrain dangereux. Les mondes de Wagner, ce sont à la fois des sables mouvants émotionnels, un labyrinthe idéologique, une hypnose musicale, le purgatoire et le paradis.

Wagner exerce toujours et encore un fort effet de polarisation: adoré comme un dieu pour sa musique, considéré comme le diable pour ses écrits théoriques et son antisémitisme. Un génie au caractère ambigu, toujours au bord de la folie des grandeurs. Sa maxime «Le monde me doit ce dont j’ai besoin!» est passée dans le langage courant.

Rédemption et compassion

La toile d’araignée wagnérienne dans laquelle il attire ses adeptes mêle la mythologie nordique au dépassement des frontières de la composition, aux douches écossaises morales et aux constructions philosophico-religieuses. Mais on trouve aussi un fil rouge tissé avant tout autour de deux concepts, la «rédemption» et la «compassion».

Presque tous les grands opéras du natif de Leipzig sont centrés sur la «rédemption» et sur le sacrifice consenti pour servir un objectif supérieur – comme on le voit dans «Le Vaisseau fantôme», «Tannhäuser» et «Tristan et Isolde». Même dans «L’Anneau du Nibelung», les personnages principaux doivent mourir avant que le monde puisse être libéré de la malédiction de l’or qui apporte la mort.

En 1882, un an avant sa mort, Wagner expose avec son dernier opéra «Parsifal», sous-titré «festival scénique sacré», son message de salut pour l’humanité: la participation sincère au destin d’autres êtres humains («Sachant par la compassion») est la condition préalable à une communauté purifiée du péché, libérée du mal.

Cette libération apparaît cruellement nécessaire à l’artiste, qui fut témoin de la révolution industrielle et de ses conséquences sociales et qui, pour avoir collaboré à la révolution de 1848/49, fut puni de l’exil pendant plus de dix ans.

Réformer le christianisme par l’art

Avec les thèmes de la rédemption et de la compassion, il se focalise aussi sur deux concepts centraux de la doctrine chrétienne. Toute sa vie, le protestant Wagner s’est confronté à la religion chrétienne, à ses symboles et ses rituels, et les a mis en question. Il pensait que l’art pourrait favoriser une sorte de réforme du christianisme, qu’il voyait proche de la décadence par la faute d’une Église figée dans ses structures.

Certains soutiennent avec opiniâtreté la thèse selon laquelle Wagner a voulu, avec «Parsifal», jeter les bases d’une véritable religion de l’art dont le Palais des festivals de Bayreuth aurait été le «temple». Aujourd’hui encore, les théologiens ne sont pas d’accord entre eux à propos de l’appréciation de «Parsifal».

Le protestant Peter Steinacker, ancien président de l’Église évangélique de Hesse-Nassau, arrive à la conclusion que Wagner «voulait réellement fonder une nouvelle religion avec rite, culte et mythe». Dans le personnage de Parsifal, estime Steinacker, Wagner établit une analogie avec Jésus.

Le théologien protestant munichois Jan Rohls voit les choses différemment. Pour lui, le compositeur a donné une interprétation tout à fait positive de l’«esprit du christianisme», qui se situe toutefois au-delà des «confessions, dogmes et Églises». Dans cette perspective, Wagner s’est affirmé authentiquement protestant.

Extases célestes et ravissements

En 1878, le fondateur du Festival de Bayreuth avait envoyé la partition de «Parsifal» tout juste terminée à Nietzsche – avec une dédicace signée ironiquement «Richard Wagner, membre du Conseil ecclésiastique supérieur». L’ami devenu un étranger n’a pas su voir le côté railleur de Wagner dans son approche de la religion quand il a critiqué plus tard «ces bourdonnements doucereux, ces œillades de nonnes, ces Ave, ces tintements, ces extases célestes, ces faux ravissements». Profondément déçu que Wagner ne soit pas devenu un libre penseur athée comme lui, Nietzsche, fils de pasteur, s’écrie: «Toi aussi, tu t’effondres devant la croix, toi aussi!»

La mort du compositeur en 1883 fut pour la communauté wagnérienne internationale le début d’une vénération difficilement imaginable – considérant la conception qu’avait Wagner de la religion, il n’est pas étonnant qu’on ait fait de lui une figure quasi religieuse. Sa veuve Cosima, convertie au protestantisme par amour pour son mari, s’employa à réunir autour d’elle à Bayreuth un cercle de fidèles qui travailla avec zèle à une interprétation raciste et antisémite du personnage de Wagner, posant ainsi une pierre fondatrice de la base idéologique du national-socialisme. (FNA-39)