Hauerwas, le théologien primé par Time Magazine, attendu à Genève

Hauerwas, le théologien primé par Time Magazine, attendu à Genève

Stanley Hauerwas, le théologien américain connu pour ses prises de position pacifistes
, est attendu à l'Uni de Genève jeudi 3 et vendredi 4 novembre. Quel rôle peut jouer la théologie pour un avenir de paix? s'interroge-t-il. Rapide présentation d'un théologien au-dessus de la mêlée avec Christophe Chalamet, professeur de théologie systématique.

ProtestInfo : Pour les personnes qui ne connaissent pas M. Hauerwas, pourquoi a-t-il été qualifié de "meilleur théologien des Etats-Unis" en 2001 par le TIME Magazine ? 



Christophe Chalamet : Il est le théologien qui a marqué sa discipline, l'éthique, comme nul autre ces dernières décennies. Certes, il n'influence pas les théologiens de la même manière que Tillich ou Barth l'ont fait avec leurs contemporains. Mais dans le "désert" théologique relatif dans lequel nous vivons, si l'on compare notre situation à celle des années 1930-1965 qui regorgeait de penseurs d'envergure, Hauerwas domine comme peu d'autres.

Il a aussi eu beaucoup d'étudiants ces quatre dernières décennies, des doctorants comme des pasteurs de diverses confessions chrétiennes.


ProtestInfo : Que pouvez-vous nous dire de son "pacifisme radical"?



Christophe Chalamet : Hauerwas a été profondément influencé par John Howard Yoder, un théologien mennonite - les mennonites ont une longue tradition de pacifisme, inspirée par une lecture littérale du Sermon sur la Montagne. Les deux hommes étaient collègues dans les années 1970 à l'Université de Notre Dame (Indiana), l'Université catholique la plus renommée aux USA.



Hauerwas n'aime pas beaucoup le mot "pacifisme", qui recouvre diverses choses et qui est parfois mal connoté. Il en parlera jeudi soir d'ailleurs.

Je ne crois pas que son pacifisme soit du type "soixante-huitard". Non qu'il soit conservateur au niveau politique, loin de là! Mais ce sont plutôt des raisons théologiques qui l'ont poussé dans cette direction.



Hauerwas n'est pas un activiste. Il ne veut pas "changer le monde". Il souhaite plutôt que l'Eglise offre au monde ce qu'elle doit être: une communauté de gens qui témoignent d'une autre manière d'être au monde, une manière qui n'est pas fondée sur la peur de l'autre, sur la compétition, mais sur la paix et le pardon.

ProtestInfo : Une seule de ses publications a été traduite en français récemment. Qui connaît Hauerwas dans le monde francophone ?



Christophe Chamalet : Il est très connu parmi les théologiens et les éthiciens chrétiens, mais pas du tout parmi les non théologiens.


ProtestInfo : Hauerwas défend un engagement politique non-violent des chrétiens. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que les chrétiens aujourd'hui, comme d'autres couches de la population, s'engagent moins?



Christophe Chamalet : Oui, en tant que penseur proche du pacifisme, il s'engage pour la non-violence aux Etats-Unis où le christianisme et le militarisme ne sont pas perçus comme étant contradictoires! C'est son côté "prophétique", pourrait-on dire. Il va à contre-courant de tendances lourdes de la société américaine et défendues par de nombreux protestants américains.

Il déplore que tant de chrétiens ne prennent pas plus au sérieux le message évangélique. Il regrette aussi le fait que les Eglises ne "forment" pas mieux leurs communautés locales aux "vertus" chrétiennes (paix, service contre l'attrait de la violence, de la domination).


ProtestInfo : La théologie, une arme contre la guerre?

Christophe Chamalet : Le message chrétien bien compris, en effet, conduit au refus de la violence et de la domination d'autrui. Hauerwas écrit ceci dans Le Royaume de paix*: « la non-violence est le cœur même de notre conception de Dieu. […] la paix dont nous avons faim et soif est déterminée et rendue possible seulement par la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ. »


ProtestInfo : Que propose-t-il ?


Christophe Chalamet : Hauerwas pense que l'Eglise chrétienne, au sens large, doit avant tout être elle-même, plutôt que de commencer par vouloir changer le monde et le pacifier. Il ne faut pas que les chrétiens "minimisent" "ce qui est spécifiquement chrétien" (p. 182 du Royaume de Paix) afin de s'insérer dans la société.

Plutôt que de parler de "justice", de "changer le monde", à tort et à travers, sans se poser la question de quelle "justice" il est question dans nos sociétés modernes, les chrétiens sont appelés, selon Hauerwas, à devenir Eglise, selon les valeurs et les vertus de l'évangile.

Parce qu'il répète ces affirmations régulièrement (et ce depuis quarante ans!), Hauerwas est souvent décrit par ses détracteurs comme un théologien du "repli" de l'Eglise sur elle-même et ses valeurs. Mais il s'agit peut-être ici d'un malentendu.

Tania Buri

  • CONFERENCE : Jeudi 3 novembre, 19h, Les sacrifices de la guerre: faut-il les sacrifier? Uni Bastions, salle B106 (traduction simultanée en français)

  • COLLOQUE : Vendredi 4 novembre, 09h15-17h00, Paix, guerre et justice. Uni Bastions, Salle B106. Le colloque est co-organisé par la Faculté de théolgie et celle de droit. La majorité des exposés sera donnée en anglais. Les discussions se feront en français et en anglais.
  • LIRE : Stanley Hauerwas, Le Royaume de paix. Une initiation à l’éthique chrétienne, trad. fr. de Pascale-Dominique Nau, Paris, Bayard, 2006, (The Peacable Kingdom : A Primer in Christian Ethics, University of Notre Dame Press, 1983).

    Who's who?

    Christophe Chalamet est professeur associé à la Faculté de théologie de Genève. Son domaine est celui de la théologie systématique. Il travaille à l'UNIGE depuis juillet dernier. Ce réformé a auparavant enseigné l'histoire de la théologie protestante moderne à l'Université jésuite, la « Fordham University » à New York de 2003 à 2011.

    « Hauerwas n'est pas mon théologien "fétiche", mais certains aspects de sa pensée m'intéressent (la paix, l'importance de l'aspect narratif de l'éthique, les vertus que les Eglises doivent transmettre). D'autres aspects de son travail me paraissent plus problématiques comme une éthique tronquée, où la notion de justice est étrangement marginalisée. Beaucoup ont vu chez Hauerwas une tendance au repli identitaire. »